Remarques sur le suprématisme blanc et les “politiques migratoires” européennes

ANADOLU AGENCY HAD OBSERVED CONTAINER CITY BY HELICOPTER. THE CITY HAS BEEN ESTABLISHED IN KILIS TO HOST SYRIAN REFUGEES WHO ESCAPED TURKEY BECAUSE OF THE BAD LIFE CONDITIONS IN SYRIA. FIRSTLY, THE CONTAINER CITIES SETTLED IN THE ALTINOZU AND REYHANLI, THE TWO SMALL TOWNS OF HATAY, AND THEN MOVED TO KILIS. IT HAS BEEN OBSERVED THAT REFUGEES GET USED TO LIVE WITH THEIR NEW LIFE CONDITIONS. (ANADOLU AJANSI - ADEM YILMAZ) (20120410)

Plus ça va, plus je suis absolument convaincu que le récit suprématiste blanc qui semble ressurgir actuellement, saturant les agendas politiques des pays de l’Ouest, n’est pas seulement inspiré par la nostalgie d’un monde unipolaire dominé par les puissances coloniales européennes. Et qu’il n’a rien non plus d’un “projet” pour un futur dystopique. Mais qu’il est le récit sur lequel s’est construit l’histoire des nations européennes, Russie comprise, puis des États-Unis, récit qui se déploie depuis que les conquistadors ont débarqué sur les îles des Caraïbes il y a plus de cinq siècles. Quelles qu’aient été les déclarations de principes, morales, politiques, humanistes, les proclamations en faveur des droits humains, l’abolition de l’esclavage, les décolonisations, il n’a jamais été question que de cela : garantir l’immunité et la prospérité de quelques nations aux dépens de toutes les autres. Et, comme dans les plantations où la plus grande crainte des colons c’était la révolte des esclaves, dans le monde d’aujourd’hui, la terreur, au sens propre du terme, c’est que les peuples du reste du monde en viennent à s’opposer violemment à cette domination. Toute la géopolitique, mais aussi les pensées politiques actuelles, et pas seulement, loin s’en faut, celles des extrêmes droites, visent à contenir cette menace, à protéger et immuniser non seulement les territoires, mais aussi l’histoire (en dés-historicisant le présent), en écrasant les récits alternatifs.

Ces dernières décennies, disons avec la re-ordonnancement du monde après les décolonisations et la fin de l’empire soviétique, les idéologies ultranationalistes et racistes avaient été en quelque sorte projetées dans les États qui constituent la bordure (b/order) immunitaire européenne (on pourrait faire la même remarque concernant l’Amérique du Nord vis-à-vis du Mexique et de l’Amérique Latine en général). Les ex-pays socialistes, les pays d’Afrique du Nord (le Maghreb mais aussi l’Égypte), certains États du proche-Orient (à commencer par Israël et la Turquie), étant chargés en quelque sorte de faire le sale boulot pour protéger l’Europe de la supposée menace d’une révolte des peuples dominés, en appliquant des politiques coercitives aussi bien sur leurs propres populations et minorités, mais aussi en stoppant, quels que soient les moyens employés, le flux des réfugiés. Ils assuraient aussi, et continuent de le faire, la promesse de vacances sécurisées pour les touristes fortunés : on ne s’indigne pas de voir danser des européens blancs à quelques encablures des camps d’internement de réfugiés placés sous haute surveillance. Le rêve ici côtoie le cauchemar : l’indécence, l’arrogance et l’indifférence des touristes sont autant de modalités du refoulement fabuleux qui structure et rend supportable, d’un point de vue moral, notre “colonialisme intime”. On fait la fête et l’on danse à quelque centaines de mètres d’une enclave où sont confinés des millions de personnes, mais il arrive que la frontière ne soit pas aussi solide qu’on l’imaginait.

On voit bien que cette stratégie de confinement et d’externalisation (ou de refoulement) de la violence raciale politique déborde désormais au sein même des États qu’elle était censée protéger (en leur donnant toujours le « beau rôle »). Elle revient des périphéries vers le centre, par une sorte de contagion inversée : l’Italie de Meloni en est l’exemple le plus flagrant, mais il faudrait être aveugle pour ne pas voir que la France sombre à son tour dans les politiques raciales les plus assumées et “décomplexées”, et qu’au fond les institutions européennes n’ont pas cessé de promouvoir cette idéologie suprématiste blanche, à travers notamment les politiques de sélections migratoires (le dernier exemple éclatant étant l’accueil réservé aux migrants Ukrainiens, considérés comme « blancs et chrétiens », alors qu’on refusait le passage aux frontières des étudiants noirs africains qui habitaient en Ukraine).

 

Remarque additionnelle : considérée dans la perspective de la catastrophe climatique (l’horizon désormais inévitable de notre époque), ce modèle se traduirait sous la forme des scénarios de “sécession” des pays les plus riches – et à aussi, si on peut relire l’histoire des 5 siècles passées comme la lente et opiniâtre “préparation” d’une telle sécession – la prospérité des pays riches reposant sur l’extraction des ressources humaines et non humaines du reste du monde – ce reste du monde demeurant évidemment “négociable”, ou, “en suspens”, selon les intérêts des puissances économiques en jeu. Il s’agit là aussi d’une stratégie immunitaire – au point que, pour reprendre le modèle développée par Marco Armiero dans son livre Wasteocène, les déchets du système métabolique européano-américain sont rejetés dans les pays pauvres, les périphéries, et, bien évidemment, dans le ciel.