“Freud a écrit qu’après trente ans de travail auprès des femmes, il n’avait toujours pas trouvé ce qu’elles voulaient. J’aurais eu envie de lui demander : leur avez-vous seulement posé la question ?” (Deborah Levy)
Sans doute parce qu’elles ne savaient pas ce qu’elles voulaient – ou parce qu’il ne leur état guère permis de “vouloir” en dehors des voies étriquées du désir autorisé pour les femmes de l’époque de Freud (Lisez Virginia Woolf !) – on pourrait penser qu’aujourd’hui les obstacles que dressaient la morale (pour dire vite) autrefois au désir ont été en partie levés. Ce n’est pas si simple. La plupart des analysants, quel que soit leur sexe d’ailleurs, souffrent de ne pas savoir ce qu’ils veulent, ou, pour mieux dire peut-être, de ne pas être en mesure d’imaginer un objet susceptible d’être assigné à leur désir. Je désirerais autre chose que cette vie-là, mais je ne sais pas quoi.
Tout semble possible certes. Mais rien n’est possible d’un autre point de vue. Les frustrations se déclinent au gré des histoires de vie, des pesanteurs accumulées, des angoisses et des peurs, qui grèvent notre imaginaire désirant, ce que nous nous autorisons à désirer. Les inégalités socio-économiques sont bien là également, même dans les cabinets de psychanalyse, et font une sacrée différence quand il s’agit d’apprendre à tolérer la frustration, “se faire une raison”.
Et puis, vous avez de ces patients qui, au contraire, sont obsédés par un objet exclusif, qui n’en n’imaginent qu’une seul et pas un autre – pas moins embarrassé finalement de leur si pauvre désir qui sature tout l’horizon.
Et puis il y a vieillir. Se débattre encore avec le désir quand le corps ne suit plus vraiment, l’extinction successive des rêves, et l’empire du futur antérieur : le “ce qui aurait pu être et n’a pas été et ne sera plus”.
La psychanalyse c’est apprendre à reconnaître que nos existences sont tissées de non-être, reposent sur ce qui n’a pas été, ce qui aurait pu être, ou aurait du, et ne sera sans doute pas, ou jamais, ou jamais plus. &c.
Je parle ici de mon travail, de ce avec quoi mes patients et moi depuis plus de dix-sept ans avons affaire : les multiples instances du non-être, ses douleurs et ses joies. La lucidité heureuse ou malheureuse.
Et ce n’est guère facile dans le monde contemporain, saturé de positivité, de réussite, de performance, de faire entendre le sens du négatif, de l’échec, de l’incapacité – et d’en tirer les fruits.