Et c’est assez amusant de constater la diversité radicale de ces endroits, leurs aménagements : le cabinet ressemble à l’analyste évidemment, et la singularité prime : il n’existe aucune norme, aucun modèle préétabli (excepté toujours la présence d’un divan qu’il soit occupé ou pas).
Mon premier analyste était une vraie caricature de Lacanien pur jus, qui n’a pas pipé un seul mot pendant les quelques séances où je me suis traîné jusqu’à son cabinet minuscule, aussi minimaliste dans son décor que l’était son verbe. Excepté le mandala au mur, tout le reste était blanc.
J’ai aussi à cette époque (je devais avoir 32 ou 33 ans) consulté un psychiatre, un type qui avait bossé avec Jean Oury, drôle, tout le contraire du premier, qui fumait comme un pompier durant les séances dans un chouette bureau avec une bibliothèque assez fournie. Je lui dois beaucoup à celui-là (par exemple le titre d’un de mes livres : « sauver sa peau »)
La troisième n’était pas psychanalyste mais psychothérapeute. Elle m’accueillait dans une vaste pièce débordant de dessins et de jouets d’enfants, entourés de banquettes confortables et colorées. Les “exercices” qu’elle me proposait visaient à provoquer chez moi une sorte de régression dont elle espérait sans doute qu’elle me révèle je ne sais quoi au juste. C’était à la fois extrêmement doux, très physique, et extrêmement brutal. J’ai arrêté après qu’on ait failli faire l’amour sur la banquette entre deux nounours en peluche, et qu’elle m’ait parlé d’un stage de groupe à l’Espace du Possible, le camping que décrit Houellebecq dans les Particules Élémentaires (j’avais failli éclater de rire, parce que j’avais lu le bouquin). Je dirais qu’au niveau de « gestion du transfert », elle faisait absolument n’importe quoi, mais elle était très attirante, je ne peux pas le nier (sauf que je n’étais pas là pour ça).
La psychanalyste qui m’a accompagné le plus loin, jusqu’à ce que je me décide à ouvrir mon propre cabinet en 2005 (j’avais donc 37 ans), recevait dans ce qu’elle appelait elle-même un bordel. C’était une femme assez âgée, lacanienne catholique, ça ne s’invente pas, mais vraiment percutante, drôle et décapante : elle ne me faisait pas de cadeaux et c’est la raison pour laquelle je l’aimais beaucoup. Son cabinet ressemblait à un appartement bohème des années 60, ça sentait l’encens et le patchouli, le divan était toujours encombré de tas de trucs, des couvertures, des oreillers, et les innombrables traces psychiques, fantômes, hantises, des patient‧e‧s qui étaient venus s’épancher avant moi. Notre périple, une véritable aventure, a duré quelques années.
À Paris, j’ai visité trois autres cabinets. Le premier était celui d’un type assez génial, mon superviseur (dont je dévorais les livres compliqués avec passion et qui m’a beaucoup appris et encouragé dans mes élaborations “théoriques”, notamment autour de l’œuvre de W.R. Bion) qui habitait un appartement bourgeois près de la gare du Nord. Son bureau était garni d’une très belle bibliothèque, mais le plus épatant c’était la guitare classique qu’il posait bien en vue au beau milieu de sa salle d’attente. On ne pouvait pas rater le fait que le psy était musicien (il y avait chez lui un narcissisme assez marqué, ce dont je me foutais tant il était brillant et pour l’aide qu’il m’apportait concernant des cas compliqués).
Pour être admis comme membre d’une vénérable association de psychanalyse, il a fallu que j’aille me présenter (et me faire évaluer, quelle horreur) par deux autres analystes. L’une était une richissime professeure aux universités qui vivait dans un palace près du Louvre. C’était tellement luxueux, j’osais à peine y poser mes chaussures de rando – je hais la grande bourgeoisie. J’ai fait mine de m’asseoir dans un fauteuil à l’entrée. Elle a grimacé. Non pas ici. Et m’a conduit dans une sorte de chambre des merveilles (si vous aimez le luxe ancien). J’ai absolument détesté.
L’autre “examinateur”, je l’aimais bien : un des rares spécialistes de Bion en France, dont j’avais suivi les cours (pas terribles dois-je admettre), mais vraiment adorable. La piaule qui lui servait de cabinet, près de Port Royal, ressemblait à une chambre de bonne dans laquelle il avait réussi à loger, dieu sait comment, 5 000 bouquins empilés par terre, qu’il fallait enjamber pour rejoindre un des deux divans perdus dans cet océan de livres. Pendant que je m’installais sur un des divans, il allait s’allonger sur l’autre, et nous rêvions ensemble, comme il est d’usage chez les disciples de Bion
Il y en a eu quelques autres, et les miens donc !