Tempête de neige

En me promenant tantôt je me suis : il me faudrait un bonne tempête de neige.

Histoire de remettre les pendules à l’heure. Trier le bon grain de l’ivraie.

Quand j’habitais en montagne, je m’offrais chaque année le luxe d’une tempête de neige.

Dès que le temps se gâtait, je sortais, une paire de skis aux pieds, un petit sac à dos sur l’épaule, et j’allais me mesurer à cette fureur blanche.

Quand tout est blanc, qu’en apprendre ? Quand les clôtures dans la prairie enneigée émergent à peine, qu’un mur blanc invisibilise inlassablement toute chose qu’on voyait d’habitude : ce bosquet de genêts, l’amas de rochers gris, le toit du buron en bas de la crête, la lisière de la forêt en contrebas. Plus rien.

Ou plutôt si : ce qui demeure, c’est votre propre corps, le bras qu’on allonge devant soi, la main gantée qui fouille dans le sac à la recherche de la boussole, le bout des spatules enfoncé dans la neige.

Cette relation minimale à soi-même. Presque abstraite, d’où l’on tire un réconfort incertain.

Voilà ce qu’enseigne la tempête de neige. Qu’on a encore malgré toutes les peines envie de persister dans l’être un peu plus longtemps. Une dose de non-être pour être encore un peu. Alors qu’il serait si facile de.

Voilà ce qu’elle enseigne si tant est qu’on lui survive.

Werner Kofler a écrit, dans Am Schreibtisch, Derrière mon bureau : « Le  but n’est rien, le chemin n’est rien. Lointain est le but, pénible est le chemin. Et pourtant, on continue, vers le brouillard, jusqu’aux silhouettes fantomatiques. Qui marche a aussi compris. Écrire, c’est marcher en montagne dans sa tête. Qui a compris et ne » (Trad. Bernard Banoun, Ed. Absalon)

Je ne m’enracine guère. Je ne suis guère enraciné. Mais l’expérience de la tempête de neige, et quelques autres où j’ai frôlé la mort,  tiennent lieu de commencements. Il me faut toujours quelque chose de plus intense. D’où repartir.