« Le cours des « événements objectifs » est bien trop rapide pour que l’on puisse réagir et l’assimiler, au niveau de l’action ou de l’expérience vécue. »
H. Rosa, Accélération : Une critique sociale du temps (2004)
On estime que, suite à l’explosion, des millions de litres auraient été déversés dans les eaux du lac, privant pour des décennies toutes les populations côtières, soit plus d’une centaine de milliers d’habitants, d’une ressource vitale. – À l’occasion des fouilles menées ce week-end autour des bâtiments de l’ancien orphelinat catholique, les archéologues ont déterré, par inadvertance, trois cadavres d’enfants. Ils auraient été jetés là au milieu des années 50, dans ce qui ressemble à une fosse commune, sans sépulture. Les premiers éléments de l’autopsie pratiquée par les médecins légistes font état de blessures au crâne et de membres brisés. – La vague de démissions qui touchent depuis deux mois le pays ne cesse de s’amplifier. Le Ministre du Travail a parlé d’épidémie, ajoutant, d’un ton consterné : « mais que vont devenir tous ces gens, désormais privés de salaires ? » Certains analystes considèrent que si le mouvement continue de s’aggraver, l’économie sera menacée d’effondrement. Les pays voisins observent la situation avec une perplexité mêlée d’inquiétude. – Le gourou sexagénaire exigea des adeptes qu’ils aient chacun un enfant pour « l’argent et pour la race », enfants dont les mères accouchèrent sans assistance médicale. Durant les rituels, les novices auraient subi un véritable calvaire : tatouages imposés, coup de fouets, scarifications, etc. Les victimes ne portèrent plainte qu’après avoir été totalement ruinées. – On ignore encore quel était le sujet exact de leur dispute, toujours est-il qu’elle s’est achevée dans le garage du pavillon qu’ils habitaient depuis le départ de la mère, et que le fils l’a conclue en fendant le crâne de son père à coup de hache. Trois coups, réduisant la tête de sa victime en bouillie, aux dires du premier gendarme arrivé sur les lieux après que le fils ait appelé lui-même au téléphone la police. Le fils était couvert du sang de son père. « Je ne vois plus rien », disait-il. – Nous venons d’apprendre qu’un homme, se prétendant écrivain, a menacé avec un pistolet l’assemblée des auteurs et des éditeurs réunis à l’occasion de la remise du Prix de l’Académie. Après qu’il eut été promptement maîtrisé par les policiers en faction à l’entrée, il s’est avéré que son arme n’était qu’un simple jouet, et on l’a transféré après seulement deux heures de garde à vue dans un centre psychiatrique en attendant d’être jugé. Les auteurs et les éditeurs présents en furent quittes pour une grande frayeur. Ils assurent n’avoir jamais entendu parler de cet homme auparavant. – Les températures ont atteint 32 °C dans les régions septentrionales cet après-midi, ce qui constitue un nouveau record de chaleur à cet endroit pour un mois d’avril. – La lutte contre les logements insalubres et l’immigration irrégulière se poursuivra, a indiqué le Ministre de l’Intérieur, jusqu’à l’été prochain. Les partis de gauche dénoncent une opération de grand nettoyage visant à donner une image positive du pays en vue des Jeux Olympiques. – La tornade ayant dévasté le quartier de la Tourelle est la troisième cette année à frapper le littoral, laissant derrière elle un paysage apocalyptique. Arbres déracinés, grue de chantier effondrée, toitures totalement arrachées, des pans de murs gisant sur les trottoirs, des automobiles transportées dans les airs sur des centaines de mètres, et des kilomètres de câbles entremêlés sur la chaussée. – Nous ne sommes pas en mesure de divulguer des informations qui mettraient en cause le prélat, mais si les faits étaient avérés, cette affaire ne manquerait pas d’entacher une nouvelle fois cette institution déjà mal en point. – 53 morts au moins, des femmes et des enfants principalement, dans le naufrage d’une embarcation au nord de la Sardaigne. Des Érythréens pour la plupart, ayant embarqué probablement en Lybie. – Rebondissement dans l’enquête sur le tueur en série. Selon nos informations, il s’agirait en réalité d’une femme, laquelle s’en prendrait systématiquement aux mâles ayant été par le passé soupçonnés ou condamnés dans des affaires d’agression sexuelle, victimes qu’elle séduirait avant de les droguer, leur trancher le pénis et les poignarder à mort. De nombreux hommes quittent la ville depuis quelques jours en attendant la fin de ce cauchemar. – Désormais, à la suite des multiples canicules de l’été, pas moins de 38 réacteurs sont à l’arrêt sur un total de 56. Le gouvernement se prépare à devoir annoncer des coupures d’électricité durant les semaines à venir, dans un contexte social tendu compte-tenu des restrictions de l’usage de l’eau dans la plupart des régions depuis deux mois et demi. – Le bilan des inondations dans la plaine alluviale centrale du pays se chiffre probablement au-delà de 20 000 morts, sans compter des milliers de disparus. – « On est bien forcé d’admettre que les rues sont aujourd’hui plus tranquilles », dit cette commerçante quand on l’interroge sur la présence policière accrue dans le centre-ville. – Les températures extrêmes plombent la région depuis cinq jours et devraient perdurer jusqu’au week-end. La capitale régionale a battu durant huit jours consécutifs son record de chaleur, dépassant 45 °C dimanche. – Au Mexique, les ventes d’eau en bouteille et de sodas sont sans équivalent dans le monde, en partie à cause des pollutions régulières occasionnées par l’industrie extractiviste. – Les plaintes s’accumulent autour du célèbre réalisateur qualifié par ses victimes de prédateur sexuel. L’avocate qui les représente dénonce l’omerta qui régnait sur les plateaux de tournage. « Tout le monde savait. Du silence à la complicité, il n’y qu’un pas. », ajoute-t-elle. – Douze années de guerre ont conduit les habitants de cette région dévastée à adapter leur mode de vie. Quand les bombardements surviennent, ils gagnent les souterrains dont certains ont été creusés dans l’antiquité, et ne remontent dans les villages qu’après le départ des avions. S’ils sont, au moment de l’assaut, à leur travail dans les champs, ils se cachent dans des trous et attendent. « La vie continue », nous confie, sur le seuil de sa maison à moitié détruite, une jeune femme avec un sourire énigmatique. – L’ONG qui vient d’alerter au sujet cette embarcation affirme qu’il se trouve beaucoup d’enfants à bord. – En fin de semaine dernière, le Parc naturel régional a annoncé la mort de deux personnes parties randonner alors qu’il faisait 48 °C. Une adolescente de 16 ans a perdu conscience et est décédé, ainsi que son père, victime d’un accident de voiture alors qu’il était parti chercher de l’aide. – Les mangues pourrissent à même le sol. Ce n’est pas que les fruits soient de mauvaise qualité, mais qu’il devient tout à fait impossible d’en faire la récolte à cause des raids menés par des milices armées. Des milliers d’hectares de culture sont ainsi laissés à l’abandon. – Le groupe thérapeutique censé combattre l’éco-anxiété n’était en réalité qu’une secte fondée par un ancien représentant de commerce qui ne possédait aucune formation dans les matières médicales. – Les cadavres remontent à la surface. Le pays réclame ses morts, dont les ossements sont entreposés dans les caves de l’Université depuis plus d’un siècle. Le massacre perpétré par l’empire colonial a pu être qualifié de génocide : il aura rayé de la carte et de l’histoire une ethnie entière, une culture et une langue. Se pose toutefois le problème de la récollection des restes (quel fémur appartient à tel crâne, etc) et, plus largement, l’illusoire identification des corps, lesquels n’ont pas de nom. Mais aussi de nombreuses questions d’ordre juridique. – À ce stade de l’enquête il n’existe aucune preuve désignant la police. – La situation ne fait qu’empirer : des citoyens lambda se retrouvent d’un jour à l’autre sous les verrous, sous l’accusation de terrorisme, pour avoir commenté, sur les réseaux sociaux, l’augmentation du prix du pain. Tout un chacun vit dans l’angoisse d’être arrêté dans la nuit, puis détenu pour une durée indéfinie. – Un crime abominable. Le président de la chambre d’agriculture dont on était sans nouvelles depuis deux semaines a été retrouvé mort dans un buron abandonné en pleine montagne. Ses ravisseurs, le caractère criminel de sa disparition ne faisant désormais plus aucun doute, l’avaient, selon l’avis du médecin légiste, gavé de pesticides jusqu’à ce mort s’ensuive. La piste d’un groupuscule écolo-terroriste est naturellement privilégiée par les enquêteurs. – « Les Indigènes sont très bons pour porter des pierres » a déclaré sans sourciller le PDG de la compagnie d’extraction minière. – Neuf millions d’hectares déjà partis en fumée, 677 incendies actifs ce vendredi, dont 13 nouveaux foyers découverts au cours de la journée. Plus de 100 millions de personnes affectés par les fumées depuis plusieurs semaines. Un habitant témoigne :« Il devient tout bonnement difficile de respirer ».