Avec ce baiser de Sunak à Meloni, qui fait suite à toutes les manifestations de sympathie exprimées par d’autres dirigeants européens, à commencer par les dirigeants français, on mesure le chemin parcouru par le néolibéralisme européen ces dernières années.
Une Meloni, il y a 20 ans, aurait été considérée comme persona non grata. La rencontrer et lui rendre des hommages aussi ostensibles auraient valu aux responsables politiques européens une bronca générale. Non sans une bonne dose d’hypocrisie, notons-le : car après tout la vision de l’Europe comme une forteresse assiégée ne date pas d’hier, même s’il y a un avant et un après 11 septembre 2001, c’est certain.
Avec ce baiser (de la mort) et les propos de Sunak qui l’accompagnent, et plus encore le succès de Meloni sur la scène politique internationale, triomphent les politiques xénophobes européennes , désormais assumées de manière explicites, sans langue de bois.
Le suprématisme blanc, le grand remplacement, la submersion migratoire, la menace qui pèse sur la civilisation blanche chrétienne, thèses qu’on croyait naïvement réservées à quelques groupuscules d’extrême droite, ou bien aux rhétoriques des populistes hongrois, bulgares ou serbes, forment désormais le socle des politiques immunitaires européennes. Il est déjà loin le temps où l’on évitait de se montrer en compagnie d’un Victor Orban. Les extrême-droites européennes, à commencer par le RN, sont débordées : leurs idées pourries ne leur appartiennent plus – elles sont devenues la pensée commune, elles constituent l’agenda général. Elles l’admettent d’ailleurs en invitant les populations à préférer l’original à la copie.
Meloni parle de catastrophe nataliste dans la logique du grand remplacement, Sunak de submersion migratoire et Macron de “protéger les français”. C’est exactement le même délire, le même fantasme à l’œuvre.
Cette Europe-là, c’est l’Europe des camps d’internement, des réfugiés molestés et humiliés aux frontières, des corps noyés dans la Méditerranée, c’est une Europe explicitement raciste.
Il faut le dire et le redire : il n’y a pas de crise des migrants. Ou plutôt cette “crise”, comme toutes les “crises” dont se nourrit le capitalisme néolibéral, n’est que la fable qui justifie le choix des européens de vivre entre eux, replié dans la forteresse raciale, jouissant d’une prospérité sans égal alors que se déploie la lente et sournoise dévastation climatique, aux détriment de tous les autres. Ce qu’il y a, c’est une catastrophe morale, une débâcle politique, un désastre intellectuel. Le récit nationaliste nous le présente comme une fatalité, une tendance irrésistible de nos sociétés, le mouvement naturel d’une nation en péril, mais en réalité, c’est un choix. On sait où de tels choix ont mené le monde il y a presque un siècle.
Une Europe criminelle à bien des titres (elle est criminelle aussi pour son histoire coloniale et postcoloniale et la manière dont elle continue, elle n’est certes pas la seule, à extraire les ressources humaines et non-humaines dans les pays pauvres, et externaliser ses déchets et sa toxicité dans les mêmes lointains. Condamnant ainsi à la catastrophe climatique ceux-là même auxquels elle refuse l’hospitalité, les tenant pour barbares et corrupteurs)
Et NOUS sommes complices évidemment. Parce que c’est pour la préservation de nos modes de vie européens (non négociables comme disait G. Bush Jr en parlant du mode de vie américain) que toutes ces politiques sont menées.