Quand je participe à une discussion sur la signification et l’extension du racisme et de la xénophobie, je rappelle souvent cet épisode qui pourrait surprendre au premier abord, mais nous apprend à mon sens bien des choses sur ce qu’est le racisme.
Il s’agit de la manière dont les Britanniques considéraient les Irlandais, notamment à l’époque de la guerre d’indépendance (1916-1918). On retrouve dans la propagande britannique de l’époque à peu près tous les éléments de langage qui nous sont familiers aujourd’hui (et qui ne datent pas d’hier), notamment l’assimilation des Irlandais à des animaux, de leur révolte à du terrorisme.
Dans son remarquable ouvrage (dont je parle régulièrement) Legacy of Violence: A History of the British Empire, Caroline Elkins consacre un chapitre à ces évènements, qu’elle inscrit fort justement dans les politiques coloniales (et les empêtrements) britanniques.
Lénine du reste ne s’y trompait pas en déclarant que la guerre d’indépendance Irlandaise représentait le début d’une série de soulèvements contre l’ordre colonial et les puissances européennes (=> https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/07/19160700k.htm )
Voici la traduction d’un passage du livre de Elkins (et le texte anglais en PJ)
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« La question persistante de l’Ulster a également été en partie à l’origine du report de l’adoption du Home Rule, et la partition imaginée a approfondi des divisions anciennes à travers la Grande-Bretagne, qui étaient dues à la xénophobie et aux normes impériales autant qu’à toute autre chose. La discrimination à l’égard des Irlandais, enracinée dans l’anticatholicisme, remonte à l’époque normande, lorsque les textes de Gerald de Galles, largement diffusés, condamnaient les Irlandais comme « un peuple vraiment barbare » qui « vit comme des animaux ». Ces affirmations ont proliféré pendant des siècles et ont justifié l’exploitation et l’annexion de l’Irlande à la Grande-Bretagne en 1801. Les suzerains britanniques ont consolidé leurs droits territoriaux, qui incluaient de vastes domaines de propriétaires absentéistes ; ils ont institué des politiques d’imposition et d’exploitation économique et n’ont pas tenu compte des difficultés humaines, telles que celles qui se sont manifestées au milieu du XIXe siècle avec la Grande Famine. Cette catastrophe a coûté la vie à près d’un million de personnes parmi les plus pauvres d’Europe et a contraint environ 3 millions de personnes à émigrer d’Irlande, entraînant une baisse de près de 25 % de la population irlandaise, baisse qui s’est poursuivie au point que la population de l’Irlande est passée de 8,1 millions d’habitants en 1841 à 4,5 millions d’habitants en 1901. Cette disparition spectaculaire de l’Irlande a laissé des traces politiques, culturelles et économiques permanentes, y compris en Grande-Bretagne, où un tiers des sujets étaient irlandais au début du XIXe siècle, alors qu’ils représentaient 10 % de la population nationale à la fin du siècle.
Dans la Grande-Bretagne victorienne, la blancheur ne conférait pas, a priori, la civilisation. Comme pour les Afrikaners, le monde racial britannique ne se contente pas de dépeindre les Irlandais comme des êtres inférieurs, mais les déshumanise parfois à l’aide d’images proches de celles des singes. Ce vitriol transcende les appartenances politiques. D’un côté, Friedrich Engels admire la résistance irlandaise mais, d’un autre côté, reproche aux immigrants irlandais d’avoir grandi presque sans civilisation et d’avoir contaminé la classe ouvrière de la révolution industrielle. À l’autre extrémité, Benjamin Disraeli a déclaré que les Irlandais « haïssent notre île libre et fertile. Ils détestent notre ordre, notre civilisation, notre industrie entreprenante… notre religion pure. Cette race sauvage, insouciante, indolente, incertaine et superstitieuse n’a aucune sympathie pour le caractère anglais….Leur histoire décrit un cercle ininterrompu de bigoterie et de sang ».
Voir aussi l’article de Wikipedia :