J’ai terminé la lecture du Grand Livre du Climat, une collection d’une centaine de textes qui font la synthèse des problématiques liées à la crise climatique (sciences, histoire, économie, anthropologie etc).
Tous les auteurs sont des experts ou des militants reconnus, et même si l’on devine qu’ils se sentent parfois un peu à l’étroit dans le nombre de pages qui leur sont allouées, l’ensemble demeure extrêmement complet, et le site web qui vient compléter le livre permet de creuser telle ou telle question en consultant une bibliographie pour chaque article (et beaucoup de textes online).
Il faut le concevoir comme un outil plus pratique que les rapports du GIEC et leurs milliers de pages. Une sorte de boussole qui permet de s’orienter dans le maquis des thèmes relatifs à la crise climatique.
Greta Thunberg présente ces textes et les articule dans une théorie globale de la crise (qui ne peut être effectivement que globale) avec beaucoup de pertinence. Elle se montre impitoyable avec les acteurs dominants de l’économie et de la politique internationale, ne mâche pas ses mots, et je ne cesse de penser en la lisant qu’on tient pour l’avenir une personnalité dont l’intelligence et la détermination pourrait s’avérer cruciales (si tant est que ses opposants, nombreux et tout aussi déterminés, ne parviennent pas à la réduire au silence d’une manière ou d’une autre).
Ce qui m’a le plus troublé, c’est l’impression d’avoir eu le même cheminement intellectuel que Greta ces dernières années. Il a des phrases que j’ai pu écrire mot pour mot ou presque. L’importance qu’elle accorde par exemple à la lecture coloniale et néocoloniale de la crise actuelle, sa dimension historique et politique, rejoint tout à fait mes préoccupations, jusqu’à ce qui me semble une exigence absolument cruciale de la réparation des torts causés par trois siècles de colonisation (entre autres devoirs qui incombent aux pays « du nord »).
Clairement, on ne baigne pas dans l’optimisme (c’est un livre sérieux, et, si l’on est sérieux et réaliste, je ne vois pas comment baigner dans l’optimisme). Il ébauche toutefois quelques avenirs possible, moins dystopiques ou cauchemardesques que notre présent. Si l’on fait le bilan des ouvertures plus positives, il me semble que toutes reposent sur l’espoir qu’un mouvement contagieux de positions exemplaires (par exemple à partir des luttes des populations autochtones, des mouvements militants, des scientifiques, artistes et intellectuels, etc.) finissent par forcer un changement drastique et global.
Or, plusieurs écueils redoutables (et, je le crains, indépassables sans violence) viennent, dans mes analyses, freiner cette contagion positive :
1. Je n’imagine pas les classes dominantes renoncer à leurs privilèges (et leurs comportements destructeurs) sous la pression d’une partie de la population. Le fait que ces dominants sont au pouvoir, et mieux encore, qu’ils concentrent absolument tous les pouvoirs (économiques, politiques, médiatiques et militaires). C’est une des grandes réussites de l’achèvement de l’hyper-capitalisme néolibéral. Et je n’arrive pas à imaginer pourquoi ils lâcheraient une affaire si bien engagée, au moment même où elle atteint son apogée (d’autant plus que ces classes dominantes ne risquent pas de perdre grand-chose avec la crise climatique)
2. Une partie importante des populations des pays du nord, notamment dans les régimes démocratiques (dont la fragilité est patente aujourd’hui), prend fait et cause pour les classes dominantes, et/ou se tourne avec empressement vers l’ultranationalisme et la xénophobie radicale. Le suprématisme blanc s’affiche à nouveau sans fard et sans complexe, les barrières établies, au moins à titre symbolique, dans l’expression des opinions publiques tendent à s’effondrer, et de nombreux pays « du nord » basculent ou sont menacés de basculer dans des formes contemporaines de fascisme ou d’autoritarisme. Sans entrer dans les détails ici, on comprend assez bien que ces positions sont encore plus dévastatrices pour le climat et promettent de nouveaux génocides dans les pays du sud (et un renforcement du néocolonialisme, et de sa violence intrinsèque)
3. Il n’y a pas de lutte contre la catastrophe climatique possible sans une gouvernance internationale composée de “démocraties”. Or, il faut bien admettre que le modèle démocratique dans le monde bat de l’aile. Non seulement le nombre de régimes autoritaires (ou pseudo-démocratiques) a rarement été aussi important ces dernières décennies, mais ces régimes semblent se renforcer, et ne donnent guère l’impression d’être menacé par des « coups d’États démocratiques ».
Autant de motifs, et pas des moindres, qui font craindre plutôt une répression généralisée des militants et des populations en lutte pour la justice climatique et environnementale (et la justice en général)