La publication concernant l’effondrement possible de l’AMOC “entre 2025 et 2095, avec une estimation centrale de 2057” “si une réduction drastique et rapide des émissions de gaz à effet de serre n’advient pas” (et elle n’adviendra pas, donc..) secoue évidemment la communauté des climatologues. Pour ceux qui ont le niveau en sciences physiques et statistiques (pas moi, très loin de là) l’accès au texte est libre : Ditlevsen, P., Ditlevsen, S. Warning of a forthcoming collapse of the Atlantic meridional overturning circulation. Nat Commun 14, 4254 (2023).
Une interview des auteurs ici dans The Conversation (édition française) :
“Nous sommes confrontés à un refroidissement de l’AMOC, avec en arrière-plan un réchauffement du climat. C’est un peu comme si nous conduisions une voiture et que nous appuyions en même temps sur la pédale de vitesse et sur la pédale de frein.”
Le phénomène avait déjà été identifié, et considéré comme un des “tipping point” du dérèglement climatique par le GIEC en 2021, mais en l’absence d’étude approfondie, le chapitre évoquait une échéance à plus d’un siècle. Avec cette étude, il s’agirait maintenant d’un futur beaucoup moins lointain.
L’étude est en débat, et n’ayant absolument aucune compétence pour en penser quoi que ce soit sur le plan scientifique, je me contenterai ici d’évoquer deux ou trois pensées que les résultats (très prudemment énoncés) me suggèrent.
1. L’hypothèse d’un refroidissement régional (en Europe de l’Ouest et du Nord) suite à l’effondrement de l’AMOC et l’aggravation dans le même temps du réchauffement dans les zones tropicales (et partout ailleurs), bouleverse de fond en comble l’anticipation des conséquences du dérèglement climatique, ce qu’on peut appeler la “catastrophe climatique” (le Dérèglement Climatique en tant qu’il affecte l’existence des êtres humains et non-humains).
Les auteurs envisagent la survenue d’une période “glaciaire” en Europe de l’Ouest et du Nord, avec des conséquences majeures sur l’organisation de l’existence des habitants de ces régions. Mais, évidemment, ce refroidissement ne se fera pas en “deux semaines” (sic). Autrement dit, il y aurait, toujours selon cette hypothèse, une période transitoire, qui pourrait baigner la région dans un climat plus doux (au moins au niveau des températures, même si, et l’hypothèse est envisagée, les tempêtes pourraient devenir encore plus fréquentes et plus violentes, et les hivers très froids)
Ce qui n’empêcherait absolument pas, bien au contraire, le reste de la planète de continuer d’être en proie à des chaleurs extrêmes et de subir tout le lot des conséquences du dérèglement climatique qui sont désormais largement identifiées.
2. Ce qui me terrifie, là, pour le dire de manière très spontanée, c’est que les Européens de l’Ouest bénéficieraient en quelque sorte d’une “accalmie” climatique, certes, d’après les auteurs, probablement assez brève. Et quand on sait (A) leur responsabilité historique et actuelle dans la crise climatique mondiale, et (B) le sens de la solidarité très limité, voire totalement nul, dont l’Europe fait preuve vis-à-vis des pays du sud les plus affectés par les effets du dérèglement climatique, alors il faut s’attendre à ce que cette éventuelle “accalmie” ne contribue guère (excusez l’euphémisme) à les inciter à s’inquiéter demain du sort de leurs anciennes colonies, ni non plus ne les incite à réduire leur impact sur le dérèglement climatique. On ne voit pas le commencement d’un sentiment de solidarité internationale aujourd’hui, alors que l’impact du DC se fait sentir en Europe. On ne voit pas pourquoi il en irait autrement demain, surtout si, pendant un laps de temps, les populations d’une partie de l’Europe bénéficiaient d’une certaine douceur, c’est-à-dire, d’un “avantage climatique” sur les autres nations du globe.
Bon, il faudra que je creuse la question à tête reposée. Mais c’est assez bouleversant intellectuellement de prendre au sérieux cette étude. Disons qu’un tel évènement rebattrait les cartes, et, à mon avis, aurait des conséquences encore plus désastreuses sur l’état politique global du monde, dans une perspective de justice globale (si tant est qu’on puisse faire pire qu’aujourd’hui – de fait, on peut toujours faire pire, on y va tout droit même)
3. Autre conséquence bien pourrie et à vrai dire insupportable : un refroidissement régional ne peut qu’alimenter la vanne à conneries des climato-sceptiques. (et comme je le disais, la violence et le cynisme néocolonial qui ne sont jamais loin dans l’esprit des climato-sceptiques)