Pourquoi Mastodon ?
D’abord et avant tout, parce que c’est une application opensource distribuée sous licence GNU (AGPL), grâce à laquelle se déploie un réseau décentralisé, sous l’égide d’une organisation sans but lucratif.
J’imagine que c’est rarement le motif premier pour lequel les gens choisissent un logiciel ou un réseau social. Mais c’est le mien.
Je suis d’une génération qui, au milieu des années 90, s’est intéressée de près à l’informatique et aux débuts d’internet, et, très rapidement, peu avant le début du millénaire, j’ai commencé à coder un peu de html, histoire de rendre public certains de mes travaux littéraires (encore à l’état embryonnaire à l’époque). En 1999, j’ai rencontré des militants du logiciel libre, et, trouvant là une traduction dans le monde informatique de mes aspirations politiques, je suis immédiatement passé sous Linux (auquel j’ai toujours été fidèle). Peu après, j’ai fondé un label de musiques indépendantes, Another Record, et commencé à réfléchir aux questions liées aux droits d’auteur et à la diffusion libre et ouverte des œuvres de l’esprit. Cette petite maison de disque est devenue une des premières à proposer toutes ses productions sous licence libre (à une époque où les Creative Commons n’existaient pas encore). Un groupe de réflexion travaillait intensément sur ces questions au sein de l’association musique-libre.org et j’ai publié pas mal de textes à ce sujet.
Néanmoins, j’ai traîné mes guêtres sur certains réseaux sociaux peu regardant sur les principes politiques et philosophiques auxquels j’adhérais : Facebook d’abord, puis Twitter. Parce que pas mal d’amis les utilisaient. Très vite, j’ai utilisé ces réseaux comme des simili-forums, au sein de groupes plus ou moins fermés, évitant ainsi une bonne part de la violence qui s’exprime (dont je en suis pas en reste d’ailleurs, si tant est qu’on m’y invite ????. Je pratiquais aussi très régulièrement des “coupures” et des “déconnexions” qui pouvaient durer six mois, le temps de me consacrer à d’autres travaux (écrire un livre par exemple). Bref, ce qui me dérangeait, ce n’était pas ce qui circulait sur les réseaux, les gens qui y participaient ou l’aspect chronophage de l’activité, mais très clairement le modèle politique et économique sous l’égide duquel ces réseaux étaient proposés : de pures émanations du système libéral capitaliste – je n’ai pas attendu l’arrivée de Musk pour m’en soucier. Je n’étais pas très à l’aise avec ça, et bien souvent, mes « déconnexions » répondaient à un souci de clarification personnelle, quelque chose comme « agir de manière cohérente avec ses principes autant que faire se peut ».
Ayant débarqué sur Mastodon l’année dernière, après plusieurs tentatives ratées, je me sens désormais du point de vue « éthique et politique » beaucoup plus en paix (alors que j’éprouvais toujours de la honte et de la culpabilité en me connectant sur facebook ou twitter)
Ce n’est pas rien étant donné l’importance qu’ont pris les activités de communication via internet dans la vie contemporaine. Et, immergés que nous sommes tous dans le marché capitaliste global, en dépendant jusqu’au moindre souffle, avoir le choix et se passer des applications proposées par les GAFAM+ (Google, Microsoft, Facebook, Twitter, Appel, etc.), est une disposition précieuse (même si ça demande des efforts).
En changeant de réseaux, j’ai perdu de vue la quasi-totalité de mes amis sur FB ou Twitter. La plupart étant des gens cultivés, politisés, immanquablement de gauche, avec des valeurs humanistes, etc. Pourquoi sont-ils demeurés sur des réseaux qui dérogent à tous les principes qui leur sont chers ? Certains disent : « il faut que quelqu’un reste pour combattre l’ennemi de l’intérieur » (mais il faut bien reconnaître, à l’heure où triomphent la xénophobie et le climato-scepticisme que cette entreprise est un échec, n’est-ce pas ?).
D’autres disent : « l’informatique ne m’intéresse pas » (quand bien même ils en dépendent tous les jours que le diable fait). « C’est une affaire de geek » (et on entend par là une forme de mépris à peine voilée visant des barbus quasi-autistes scotchés à leurs écrans et s’exprimant de manière codée). Je crois bien qu’il entre une part de mépris envers les cultures informatiques, assez caractéristique dans les milieux intellectuels et militants de gauche. Comme s’ils avaient raté le tournant informatique, et, bien qu’ils soient capables par ailleurs de curiosité et de rationalité, et de cohérence dans leurs engagements, ne considéraient par le domaine informatique comme digne de leur attention. On n’a jamais fait l’effort d’apprendre et de comprendre parce que ce n’était là au fond qu’un aspect marginal de l’existence.
On paye cette condescendance fort chère aujourd’hui. Si les militants et intellectuels de gauche avaient pris au sérieux dès le début des années 2000 ce qu’internet était en train de devenir, nous n’en serions pas là.