Au hasard d’explorations erratiques dans les géographies, il m’arrive de plus en plus souvent de tomber sur des blogs de « baroudeurs », des Maud et des Julien, des Margot et des Benjamin, de jeunes gens bien mis qui s’accordent plusieurs mois, voire une année entière, de « congé sans solde » (à 25 ans, ouais), pour parcourir le vaste monde, à l’aventure, empruntant les transports en commun, la bicyclette ou allant à pied. Ils parlent des « belles rencontres » avec les autochtones, de l’architecture « exotique », de la gastronomie local si « dépaysante ».
Ça m’exaspère. Mais à un point. Pour des tas de raisons (que ceux qui me lisent habituellement devineront aisément)
Mais, alors que je parcourais avec une envie de vomir un de ces blogs/podcasts relatant un périple pédestre dans les Balkans, entre l’Albanie et la Bulgarie, je n’arrêtais pas de penser à ce livre qui m’a tellement marqué, White Enclosures. Racial Capitalism and Coloniality along the Balkan Route, de Piro Rexhepi, et j’ai compris ce qui m’exaspérait le plus dans ces belles histoires.
C’est que ce genre de balade dans les Balkans (et dans bien d’autres endroits du monde), c’est inimaginable de l’accomplir dans les mêmes conditions (sac au dos, camping etc), si vous êtes une personne de couleur, ou du moins de la couleur de la peau d’un migrant. Parce que si vous n’êtes pas blanc, vous êtes assuré d’être contrôlé à tous les coins de rue, dans les gares et si vous croisez le chemin d’un policier ou d’un milicien, et à tout le moins d’éveiller la suspicion, et de de devoir apporter la preuve que vous n’êtes pas un de ces réfugiés tenant de pénétrer dans la forteresse raciste européenne. Parce que tout est fait pour vous compliquer la vie.
Randonner librement dans ces régions scrutées et monitorées par les gardiens de la forteresse européenne, c’est un privilège de blancs, un privilège racial.
Je reviendrais plus longuement un de ces jours sur cette idée de « compliquer la vie », non seulement des personnes racialisées, mais aussi dans la plupart des régions du monde, des plus pauvres, des précaires, des LGBTQ++. Compliquer la vie des subalternes. C’est-à-dire : on ne tire pas à vue, on ne les assassine pas (quoique, dans certains pays du monde, si, on ne se gène pas), mais on les emmerde, on les contrôle, on les bureaucratise, on les immerge dans des procédures kafkaïennes. On leur rend la vie impossible.
La fluidité, la paix, la simplicité, c’est pour les élites (et les marchandises). Pour les subalternes, tout est fait pour empêtrer la liberté de mouvement, et noyer la conscience dans des réseaux de complications absurdes, exténuer, dévitaliser, tuer à petit feu.
https://www.infomigrants.net/fr/