Un peu de magie gréco-égyptienne (PGM, IV, 1596-1715)

Ces papyrus collectés notamment aux abords ou les tombes elles-mêmes autour de Thèbes au XIXᵉ siècle, datent des IIIème et IVème siècles après J.-C. On connaît aussi ces collections sous le nom de la Bibliothèque Magique de Thèbes. Les collecteurs étaient peut-être des magiciens qui compilaient des papyrus magiques afin de les utiliser, ou bien l’œuvre d’érudits, de philosophes ou même d’archivistes. Ils sont écrits en grec et en égyptien démotique (le démotique étant une écriture égyptienne dont les signes comportent des représentations alphabétiques, syllabiques et idéogrammatiques).

L’édition de Betz de « The Greek Magical Papyri in Translation » de 1986 est la première traduction en anglais des Papyri Graecae Magicae de Preisendanz et Henrichs. Cette édition comprend également une traduction des sections des papyrus magiques écrits en égyptien démotique qui ont été exclues de l’édition de Preisendanz, les Papyri Demoticae Magicae. Elle contient également des sorts fragmentaires en égyptien démotique, le PDM Supplement. En outre, l’édition de Betz comprend la traduction de quelques sorts grecs qui ne figurent pas dans l’édition de Preisendanz, numérotés PGMLXXXII-CXXX. La deuxième édition de Betz a été publiée en 1992/1996.

Je traduis ici depuis l’anglais (avec un regard sur le grec) ces consignes pour un sort appelant l’aide d’Helios, la divinité solaire si importante dans la culture égyptienne antique, mais également dans les cultes polythéistes et la philosophie grecque de l’antiquité tardive (on pense par exemple à l’empereur Julien (331-363) qui consacra un traité à Hélios-Roi). Helios, souvent associé à Râ, est également une figure récurrente dans les Oracles Chaldaïques, si importants dans le néoplatonisme, dans les Révélations d’Hermes Trismegiste, ou encore les cultes « romanisés » de Mithra. Il est aussi un moteur central de l’alchimie ancienne (cf. Zosime de Panopolis (ca. 270 CE)). Ce texte s’organise autour des douze maisons astrologiques : dans l’immense majorité des sortilèges magiques, le magicien doit savoir déterminer le moment et le lieu opportuns pour lancer un sort ou s’attirer les faveurs d’une divinité.

 

 

 

 

 

 

 

 

PGM IV. 1596-1715 : (traduit à partir de l’anglais : Betz, « The Greek Magical Papyri in Translation » 1986)

Voici la consécration utile à toutes les fins : Sort à Hélios :

« Je t’invoque, Dieu le plus grand, seigneur éternel, maître du monde, / qui es au-dessus du monde et au-dessous du monde, puissant maître de la mer, se levant à l’aube, brillant depuis l’Est sur le monde entier / se couchant à l’Ouest. Viens à moi, toi qui surgis des quatre vents, joyeux Agathos Daimon, pour qui le ciel est devenu le chemin de procession. J’invoque tes noms sacrés / et grands et cachés que tu te réjouis d’entendre. La terre a fleuri quand tu as brillé, et les plantes sont devenues fécondes quand tu as ri ; les animaux ont engendré leurs petits quand tu l’as permis. Donne de l’éclat, de l’honneur, de la faveur, de la fortune et de la puissance à cette pierre, NN, que je consacre aujourd’hui (ou au phylactère consacré) pour NN. Je t’invoque, toi, le plus grand des cieux, BI LANCHYCH AKAREN BAL MISTHREN MARTA / MATHATH WLAM MOU-SOUTHI SIETHO BATHABATHI IATMON ALEI IABATH ABAOTH SABAOTH ADONAI, le grand Dieu, ORSENOPHU ORGEATBS / TOTHORNATESA~~~ KRITHI BIOTHI IADMOUTMOMI METHIEI « O » LONCHOO AKAU BAL MINTHRE BANE BAI(N)CHCHYCHOUPHRI NOTHEOUSI THRAI / ARSIO ERONERTHER, ~ l’Hélios resplendissant, éclairant le monde entier. Tu es le grand Serpent, chef de tous les dieux, qui contrôle le début / de l’Égypte et la fin de tout le monde habité, qui s’accouple dans l’océan, PSOI PHNOUTHI NINTHBR.~ Tu es celui qui devient / visible chaque jour et qui se couche au Nord-Ouest du ciel, et se lève au Sud-Est.

À la 1ʳᵉ heure, tu as la forme d’un chat ; ton nom est PHARAKOUNETH / Donne gloire et faveur à ce phylactère.

À la 2e heure, tu as la forme d’un chien ; ton nom est SOUPHI. Donne force et honneur à ce phylactère, [ou] à cette pierre, / et à NN.

À la 3e heure, tu as la forme d’un serpent ; ton nom est AMEKRANEBECHEOTHOYTH. Honore le dieu NN.

À la 4e heure, tu as la forme d’un scarabée ; ton nom est / SENTHENIPS. Renforce puissamment ce phylactère en cette nuit, pour l’œuvre pour laquelle il est consacré.

À la 5e heure, tu as la forme d’un âne ; ton nom est / ENPHANCHOUPH. Donne force, courage et puissance au dieu NN.

À la 6e heure, tu as la forme d’un lion ; ton nom est BAI SOLBAI, le maître du temps. Donne / succès à ce phylactère et victoire glorieuse.

À la 7e heure, tu as la forme d’une chèvre ; ton nom est OUMESTH~TH. Accorde un charme sexuel à cette bague / (ou à ce phylactère, ou à cette gravure).

À la 8e heure, tu as la forme d’un taureau ; ton nom est DIATIPHE, qui devient visible partout. Que toutes / les choses [faites] par l’usage de cette pierre s’accomplissent.

À la 9e heure, tu as la forme d’un faucon ; ton nom est PHOOUTH PHEOUS, le lotus sorti de l’abîme. Donne du succès / [et] de la chance à son phylactère.

À la 10e heure, tu as la forme d’un babouin ; ton nom est BESBYKI.

À la 11e heure, tu as la forme d’un ibis ; ton nom est / MOU KOPH. »~ Protège ce grand phylactère pour qu’il porte chance à NN, dès aujourd’hui et pour toujours.

À la 12e heure, tu as la forme d’un crocodile ; ton nom est AEKTHOE. Toi qui t’es couché le soir comme un vieillard, qui es au-dessus du monde et [sous] le monde, puissant maître de la mer, entends ma voix en ce jour présent, / en cette nuit, en ces heures saintes, et fais que [toutes les choses faites] par cette pierre [ou] pour ce phylactère, s’accomplissent, et en particulier NN pour lequel je le consacre.

S’il vous plaît, / seigneur KMBPH LOUTHEOUTH OKPHOICHE OKTILIBECHOUCH IERCHE ROUM IPEKITAOYAI. Je conjure la terre et le ciel, la lumière et les ténèbres et le / grand dieu qui a tout créé, SAKOUSIN, vous, Agathon Daimonion l’assistant, d’accomplir pour moi tout ce qui a été fait à l’aide de cet anneau ou de cette [pierre].

Quand / tu auras terminé [la consécration], dis : « L’unique Zeus est Sarapis ».

Je dispose d’une (épaisse) bibliographie sur cette littérature magique (sans parler des autres textes théurgiques, philosophiques ou rituels), notamment concernant la période de l’antiquité (méditerranéenne) tardive (du IIIè au VIème siècle) et surtout en milieu polythéiste.

J’ai surtout travaillé sur le néoplatonisme, et d’abord sur ses versants les plus philosophiques, Plotin durant ma thèse, et, plus tard, Proclus, Damascius et leurs collègues. Ces dix dernières années, j’ai élargi ma perspective au polythéisme méditerranéen antique de manière générale.

Cela peut paraître étrange d’avoir consacré une partie de sa vie (probablement la plus importante, quantitativement), à l’étude de ces mondes anciens – et j’ai beaucoup lu aussi de monographies d’ethnologie sur l’animisme. Je m’y replonge à chaque fois que je suis dans les environs d’une période compliquée – m’évadant réellement dans ces mondes encore enchantés, plein de dieux et/ou d’esprits – mais il y a plus que ça. Je prépare actuellement un texte assez long qui explore l’hypothèse d’une lecture de la philosophie de Proclus comme une « utopie » – dans un contexte où le polythéisme était largement menacé par le succès du christianisme et des lois répressives.