Ce qu’on apprend en étudiant les régimes autoritaires et pseudo-démocratiques (qui sont légions sur cette planète), ce sont les critères de la bonne santé d’une démocratique – parmi lesquels le multipartisme, et particulièrement, un multipartisme « réel » (et non pas « de façade » comme dans les régimes pseudo-démocratiques) où chaque élu dispose d’un réel pouvoir de modifier le cours des choses, même s’il est dans l’opposition.
C’est assez rare dans les démocraties actuelles. Le multipartisme existe ici et là, mais les partis d’opposition sont trop souvent condamnés à l’expression seulement « symbolique » de leur insatisfaction.
Le bipartisme (ou la domination « traditionnelle » de deux partis dominants, comme aux États-Unis, ou en France jusqu’à récemment) ne vaut pas, du point de vue de l’idéal démocratique, le multipartisme réel (il faut au moins trois groupes à peu près en mesure d’exercer un pouvoir réel).
Mais, quand le multipartisme réel se manifeste dans son pouvoir, c’est là qu’on entend mult voix pour s’en plaindre, au prétexte que le pays deviendrait ingouvernable.
C’est qu’on confond ici deux choses : la démocratie et ses institutions d’une part, et le gouvernement d’un État d’autre part (ou de tout autre groupe d’associé‧e‧s en vue de gouverner quelque domaine que ce soit, l’Assemblée Générale d’une association par exemple).
Certes, les institutions démocratiques ne sont jamais « pures » et contiennent déjà des aménagements qui favorisent la stabilité d’un gouvernement futur afin de gouverner sans trop d’empêchements. Il n’empêche, tout se passe comme si, de manière contradictoire, les auteurs des constitutions oscillaient entre deux idéaux : la vitalité démocratique et la conservation du gouvernement. J’entends par là évidemment que la démocratie est du côté du débat, de la parole vive, de l’argumentation, et donc par essence dynamique et facteur de changement, tandis que tout gouvernement vise à se conserver lui-même, c’est-à-dire à conforter son pouvoir, quitte à affaiblir la vitalité démocratique pour parvenir à la stabilité qu’il réclame.
On voit bien comment cette confusion aboutit à des apories difficiles à résoudre : on peut se plaindre (à raison) d’un gouvernement qui ne représenterait pas la diversité des opinions ou des courants politiques qu’exprime le multipartisme (c’est-à-dire un gouvernement irrespectueux de la démocratie), et en même temps regretter qu’un parti (le sien de préférence) ne dispose pas de la majorité à l’assemblée (ce qui lui permettrait de gouverner plus aisément, mais tendrait à affaiblir la diversité inhérente à la démocratie) !
Il y aurait évidemment, et les constructions spéculatives en ce sens ne manquent pas dans la littérature politique (pas seulement à gauche !), d’autres manières de lier démocratie et gouvernement.
À la limite, entre l’idéal anarchiste, qui, d’une certaine manière constitue l’apogée de la démocratie au détriment du gouvernement (jusqu’au point, où dans certains modèles, les institutions démocratiques deviendraient elles-mêmes inutiles) et l’idéal autoritaire, lequel ne conserve des institutions démocratiques (quand il les conserve encore !) qu’une parodie sinistre et violente, au profit de la stabilité gouvernementale, entre ces deux idéaux, toutes les constitutions sont imaginables. Y compris par exemple des modalités de démocraties plus « directes » – par exemples des référendums locaux, régionaux, nationaux, qui viennent déborder les discussions à l’Assemblée, ou bien encore des gouvernements qui seraient beaucoup plus soumis qu’ils ne le sont généralement à la constitution de compromis entre les élus des différents bords, reflétant ainsi réellement la multiplicité des opinions de l’Assemblée. À mon sens, un système de gouvernement, pour être sain, devrait s’attacher à mieux respecter la démocratie, c’est-à-dire la pluralité des opinions.
Toutefois, quand la démocratie produit une majorité, certes multipartiste, en faveur de politiques racistes, capitalistes et réactionnaires, elle n’a rien de satisfaisant non plus, et c’est bien évidemment la limite de mon laïus (qui n’a rien de très original). Et, malheureusement, c’est là où nous en sommes en France depuis quelques années. J’aimerais pouvoir applaudir sans réserve à cet épisode réellement démocratique – mais la répartition des forces en présence (qui suit le choix des électeurs et des électrices, et c’est bien le drame) diminue mon enthousiasme (certes déjà modéré par mes tendances anarchistes), c’est le moins qu’on puisse dire.
(je laisse de côté, bien que ce soit très important, toutes les autres modalités, au-delà du multipartisme, qui indiquent la santé d’une démocratie : la liberté d’expression des citoyens, des journalistes, la pluralité de la presse, etc…)