Mes chers amis.
Dans deux semaines débute la COP 29.
À Bakou.
Oui. Vous ne rêvez pas.
Après Charm-el-Cheik, dans l’Égypte d’un des plus terribles dictateurs de la planète, le maréchal El-Sissi, après Dubaï et ses monarques dont on connaît la passion pour les droits de l’homme (notamment les droits des travailleurs.ses migrant.es, qui, il est vrai, ne sont pas considéré.e.s comme des êtres humains au sens plein du terme par les maîtres du Golfe), voici, SURPRISE !
L’Azerbaïdjan !
Dirigé d’une main de fer par le président Ilham Aliyev (un ancien dirigeant de compagnies pétrolières (qui a fait fortune en profitant, comme tant de responsables politiques de l’ex-URSS, du chaos post-communiste – et de la conversion brutale au libre marché), c’est typiquement un pays qui vit de la rente pétrolière (notamment en mer Caspienne), mais aussi gazière et surtout des oléoducs qui traversent son territoire et lui octroient une position géostratégique centrale dans la région (et dans le capitalisme mondial).
La démocratie n’est pas un vain mot en Azerbaidjan : Ilham Aliyev vient d’être réélu, dans l’indifférence générale, avec 92 % des suffrages, et pour 7 ans : il marche sur les traces de ses illustres inspirateurs, Vladimir Poutine ou Loukachenko, ou Isaias Afwerki, pusqu’il gouverne le pays depuis 2003 (sans parler du fait qu’il succède à son papa, lequel avait régné entre 1993 et 2003). Une vraie dynastie donc, comme en Corée du Nord.
Bien sûr, ses performances en matière de respect des droits de l’homme sont à peu près comparables à celles de ses devanciers sur la scène des COP
Et surtout, le pays s’est fait remarquer il y a un peu plus d’an en annexant purement et simplement, en quelques semaines, le Haut-Karabagh, au nom de la très commode « lutte anti-terroriste » (qui légitime à peu près n’importe quoi partout sur la planète, et qui n’est plus l’apanage, loin de là, des régimes occidentaux post-11-septembre).
Suscitant l’INDIGNATION des nations plus ou moins unies – durant quelques jours, le temps qu’on passe à autre chose (et, effectivement, le 8 octobre qui suivit, on avait complètement oublié les évènements du Haut-Karabagh).
Bon. Reconnaissons que l’indignation n’a pas remis en cause une seule milliseconde le choix d »accorder au régime de Bakou l’organisation de la COP 29. Les Arméniens peuvent aller se faire voir – ils en ont l’habitude du reste, s’il y a bien un peuple qui déguste dans la région sans susciter autre chose que des “indignations” de quelques jours, c’est bien le peuple arménien (les kurdes aussi, et quelques autres, et, au fond, la plupart des populations, notamment les plus pauvres, dégustent sous la férule de dictateurs, sans que ça émeuve grand monde).
Bref !
Pour celles et ceux qui se posent la question : « mais à quelles fins sont destinées les COP ? », voici le programme :
1. La célébration des régimes autoritaires, dictatoriaux et pseudo-démocratiques, voire totalitaires si affinités. Désormais, les puissances capitalistes ne font même plus l’effort de cacher leur préférence pour ces régimes pseudo-démocratiques, où les dirigeants sont « élus » avec 90 % des voix : leur « stabilité » (assurée par la violence), et même la corruption générale qui y règne, soigneusement rationalisée par les cliques au pouvoir, constitue le modèle pour ainsi dire idéal du partenaire commercial à l’heure du libre marché global.
2. Une plate-forme d’échanges ou se négocient les contrats futurs concernant les matières premières, l’énergie, mais aussi les nouveaux fétiches du green-capitalism (à commencer par les énergies alternatives).
3. Un sommet international où s’échangent les trucs et astuces du capitalisme mondial :
a. Les techniques de surveillance et de répressions – le techno-capitalisme de la terreur. À ce titre, les COP sont à ranger dans le même panier que n’importe quel autre « grand évènement » international : les JO par exemple, sont destinés avant tout à fournir la preuve qu’un pays est capable de mettre une partie de son territoire sous cloche sécuritaire, et constitue également une opportunité extraordinaire pour les entreprises de techno-surveillance d’exposer leurs produits aux yeux de tous les régimes désireux de mater leurs dissidents – c’est-à-dire, actuellement, tous les régimes ou presque, y compris les démocraties.
b. Les récits de greenwashing et, plus généralement, les narratifs visant à occulter la catastrophe climatique : c’est-à-dire : son histoire (les responsabilités écrasantes des empires coloniaux et néocoloniaux et des classes aisées des pays riches, ou moins riches), son présent (l’aggravation de la catastrophe chaque jour que le diable capitaliste fait) et son futur (un monde qui devient et deviendra pour quelques milliards de gens tout bonnement inhabitable). Donc des techniques politiques visant à plonger les citoyens (si tant est qu’il en reste) dans un état de torpeur intellectuelle, qui les dissuade de penser plus loin que leur présent immédiat, une berceuse sinistre, en réalité : un lavage de cerveau généralisé qui opère à l’échelle de la planète. Ça tombe bien : c’est ce à quoi aspire une bonne partie de la population. Pour le moment.
Donc, en résumé, la COP (29 ou 28 peu importe, les précédentes étaient exactement du même tonneau, avec un peu de crème en plus, quand on prenait encore la peine d’ajouter quelques scrupules, certes de pure forme, à l’ignominie)
Un énorme doigt d’honneur adressé aux idéaux démocratiques, aux droits de l’homme et aux minorités opprimées.
Et un autre énorme doigt d’honneur adressé au changement climatique, aux climatologues, aux militants et chercheurs sur la planète entière, mais aussi et d’abord aux populations qui subissent d’ores et déjà, et parfois depuis très longtemps, les effets combinés de l’exploitation généralisée capitaliste, de la destruction, de l’intoxication et de l’accaparement de leur environnement. Autrement dit, un éloge de la nécropolitique capitaliste mondiale.
Notez bien que, pas plus qu’en Égypte ou aux Émirats Arabes Unis, vous ne verrez le moindre militant écologiste manifester dans les rues ou aux abords du centre de conférences. C’est l’immense avantage d’organiser ces cérémonies du pouvoir dans les dictatures ultra-militarisées. Aucun opposant n’y mettre les pieds (et ceux qui, en Azerbaidjan, auraient été susceptibles de se faire entendre, sont déjà en prison. C’est ce qu’on fait dans les régimes autoritaires pseudo-démocratiques avant les élections – on ne va pas s’en priver avant la COP – si tant est qu’il reste un seul opposant en liberté.
NB : Si vous voulez voir à quoi ressemble monde vu depuis Bakou, je vous conseille de visiter le site officiel de propagande du gouvernement !
Dans les dernières news, le président bien aimé congratule le chef du Rêve Georgien pour sa victoire aux législatives (ce qui n’étonnera personne), on déclare aussi que l’Arménie devrait poursuivre ses « criminels de guerre » (sic), et on commémore les « attaques terroristes arméniennes » du 27 octobre 2020.
Oui.
C’est bien là que vont se dérouler les cérémonies de la COP29.
Mais le plus hilarant, c’est la commission des droits de l’homme azerbaïdjanaise qui observe le déroulement du scrutin électoral en Ouzbékistan. (voir photo ci-dessous)
C’est hilarant mais très intéressant : ça s’inscrit dans les politiques d’imitation de la démocratie par les régimes pseudo-démocratiques. Du foutage de gueule pur et simple. Magie !!
NB (2) :
Pour info !
Je n’avais pas vu passer ce très bon article de RFI sur les « préparatifs » de la COP 29 à Bakou.
Comme il est maintenant de mise à chaque évènement international, le pays hôte (et pas seulement les gouvernements autoritaires ou pseudo-démocratiques comme celui de l’Azerbaïdjan) se saisissent de l’opportunité pour faire le ménage dans leur opposition, ou, ce qu’il en reste. (on pratique aussi ces « purges » avant les élections évidemment). Dans le même élan, c’est l’occasion de déployer de manière encore plus systématique le réseau de la techno-surveillance sur l’ensemble de la population.
« Car à partir de 2013, une série de lois sur les subventions (Law on Grants) a implacablement entravé la création d’ONG. Elle rendait leur enregistrement obligatoire auprès du ministère de la Justice afin de contrôler leur financement. Une épée de Damoclès judiciaire prête à tomber sur ceux qui tenteraient de trouver des mécènes à l’étranger, ce qui était jusqu’alors autorisé. « Cela a décimé la véritable société civile azerbaïdjanaise », regrette Natalia Nodzade. Les ONG officielles, les « Gongo », servent d’alibi démocratique et ne « jouent pas leur rôle de contre-pouvoir qu’elles ont dans toute société moderne ». « C’est à ce moment que la grande vague d’arrestations de militants s’est enclenchée. Beaucoup de ceux avec qui nous travaillions sont partis en exil », poursuit la chercheuse. Élections de 2013, Jeux européens à Bakou en 2015, élections et COP en 2024 : à chaque évènement politique et médiatique, son tour de vis sécuritaire. »
NB (3) : Je vous conseille aussi ce papier de Nargiz Mukhtarova, militante des droits des femmes et chercheuse en Azerbaidjan. Elle publie aujourd’hui cet article dans Climate News suite à l’incarcération de son compagnon, Farid Mehralizada, en « préparation » de la COP 29 :