Sur l’expression “L’Histoire jugera”

“L’histoire jugera.”, lis-je ici et là.

Non.
Ça n’a rien de si évident. L’histoire suppose des historiens déjà. Et souvent un travail de recherche fastidieux dans un contexte de lutte parfois acharnée pour faire advenir tel ou tel récit plutôt que tel autre.

Il se peut même, et en réalité cela arrive fréquemment, que le récit historique dominant à tel moment air régressé du point de vue de la vérité : demandez aux historiens russes contemporains ce qu’ils en pensent pour prendre un exemple parmi des centaines d’autres.

L’Histoire (?) a-t-elle jugé l’empire colonial français ? Peut-être, mais il y a fort à parier que cette histoire là soit demeurée confidentielle, et sans doute plus encore aujourd’hui qu’hier.

L’histoire est forcément sélective, la lumière qu’elle fait sur tel aspect des évènements occulte souvent d’autres aspects : les questions qu’elle adresse au passé émergent dans les préoccupations du présent. Et ses moyens diffèrent selon les manières dont le pouvoir est disposé, à, tel ou tel moment, vis-à-vis de la discipline. Dans certains pays, les historiens sont menacés : on attend d’eux qu’ils alimentent un grand récit national purifié des scories du passé. Dans d’autres, et souvent les mêmes, l’accès à la documentation, aux archives, aux témoins, est rendu difficile, voire tout bonnement interdit (quand les archives n’ont pas été détruites).

Combien de personnes ont participé, de près ou de loin, plus ou moins activement, ou simplement bénéficié, directement ou indirectement, d’épisodes abominables de l’histoire, et s’en sont tirées sans qu’il leur soit fait aucun reproche, et sans qu’ait jamais pesé sur elles la moindre culpabilité ?

Non. L’histoire ne juge pas. Ce sont les femmes et les hommes qui jugent, en s’appuyant sur les travaux des historiens dont ils disposent.