Préférence raciale

N’empêche, même si ce n’est pas une cause directe de l’épisode électoral que vivent les français en ce moment, il y a un truc qui aura vraiment joué un rôle majeur, pour le coup d’une manière imprévisible et complètement hallucinante (d’un point de vue rationnel), ce sont les évènements tragiques qui se déroulent en Israel/Palestine.

Alors évidemment, il ne s’agit pas des évènements eux-mêmes, mais de leur instrumentalisation délirante, selon un récit totalement pété qui assimile ceux qui s’indignent du sort des populations de Gaza à des antisémites, et sont traités comme des terroristes – récit qui dissimule maladroitement, quand il prend la peine de la faire, sa préférence raciale : l’arabe et/ou le musulman figurent l’envers, l’altérité, le bouc émissaire de cette période de l’histoire européenne. La forteresse érigée avec ardeur autour du continent, à ses frontières et dans ses enclaves, est avant tout destinée à délimiter la whiteness, l’identité européenne (et en exclure a priori les arabes, les musulmans, mais aussi les noirs africains).

L’instrumentalisation des évènements en Israel/Palestine, sans surprise, se confond avec et confirme les politiques raciales en vigueur. Il n’est dès lors pas surprenant qu’ici comme ailleurs en Europe, les Partis d’extrême droite ou, disons, “nationaux populistes”, émergent comme des forces dominantes dans les paysages politiques. C’est une banalité de dire que depuis le 11 septembre 2001, l’agenda sécuritaire, qui se donne comme priorité la défense du suprématisme blanc contre ce qui est censé le menacer de toutes parts, l’ironique et sinistre effet boomerang de la globalisation extractiviste et coloniale du capitalisme dans sa version néolibérale, que cet agenda, donc, a fini par s’imposer dans tous les débats politiques nationaux. Mais il faut sans cesse rappeler qu’il ne s’agit pas seulement d’un agenda ou d’un imaginaire, mais d’une réalité qu’ont à souffrir les populations racisées à l’intérieur comme aux frontières d’une Europe ultra-militarisée.

Ce sentiment d’être “surrounded by barbarians” comme l’écrit Ghassan Hage (dont je ne saurais trop recommander la lecture en ces temps troublés. On peut commencer par cette interview passionnante dans The Conversation :

theconversation.com/ghassan-ha

Ce sentiment donc d’un état de siège permanent, auxquels les européens blancs seraient condamnés, fournit l’arrière-plan imaginaire sur le fond duquel se déroule le drame électoral présent, y compris l’instrumentalisation des évènements tragiques en Israel/Palestine dans le cadre de la campagne franco-française. Il n’y a rien d’étonnant à ce que cet usage de la catastrophe de Gaza dans les débats français se déploie sur des lignes d’oppositions raciales. Et finisse par servir à stigmatiser comme racistes ou antisémites des militants de gauche (principalement) qui dénoncent la violence de la répression (qui va jusqu’au nettoyage ethnique, voire au génocide) des populations piégées dans l’enclave de Gaza. Et le plus ahurissant, c’est quand des partis ouvertement racistes (et, historiquement, nourris aux rhétoriques antisémites) conduisent ces campagnes de diffamation (avec l’aval et le soutien zélés des médias de masse et des partis néolibéraux).

On aurait pu s’attendre, je le mentionne en passant, à ce que la guerre menée par Poutine en Ukraine soit au cœur des débats – mais elle n’est présente que de manière latente, à la marge. Comme si les menaces que le délire Poutinien fait peser sur l’Europe n’étaient pas aussi “prioritaires” que celles qu’inspirent les populations racisées. (On aura rivalisé de générosité pour accueillir les réfugiés ukrainiens blancs – les étudiants racisés pris dans le piège Ukrainien au commencement de l’agression russe n’ont pas eu cet honneur : on devine pourquoi)

Cette catastrophe politique en tous cas, ne date pas du jour récent où Macron a décidé de dissoudre l’Assemblée. Elle est le résultat (encore incertain, à l’heure où j’écris) non pas seulement d’une accumulation d’évènements, mais de ce qui structure depuis plus de 20 ans les politiques européennes et qu’un nombre considérable de chercheurs et de militants n’ont cessé de dénoncer. En vain.