« S’adapter, ce n’est pas renoncer. »
(dixit Barnier)
Heu ???!!!!
Ce n’est pas renoncer à quoi exactement ? À la croissance ? Au productivisme ? Au mode de vie occidental (« non négociable » comme le disait déjà en son temps GW Bush) À l’exploitation sans vergogne des ressources humaines et non humaines partout sur la planète ? Etc. ?
Pour le coup, c’est renoncer totalement à faire quoi que ce soit concernant la catastrophe climatique en cours, excepté ce qu’on fait déjà : l’aggraver, en accélérer le déploiement.
En résumé (lisez ce plan, c’est rapide, y’a rien dedans) : on va continuer de vivre exactement comme on vit maintenant, mais on va s’adapter aux dégâts inévitables que ce mode de vie induit.
Les néolibs (et pas qu’eux) ne peuvent pas penser le changement climatique autrement que comme une crise – une crise on la traverse, on la dépasse, c’est un défi (et généralement, on siphonne la vitalité des pauvres pour sauver le système). Ils ne veulent surtout pas, et on les comprend, le penser comme la catastrophe qu’il est, car le penser ainsi, serait remettre en question la structure même du capitalisme global, l’exploitation généralisée, la compétition économique, les États-Nations. Ce serait, pour les capitalistes, se tirer une balle en pleine tête. Et de toutes façons, l’immense majorité des abrutis qui peuplent les pays les plus riches sont d’accord avec Bush : « notre mode de vie n’est pas négociable ».
Et qu’est-ce que c’est que ce délire de +4°C en 2100 ? Et même : +2,7°C en 2050 ?
Ont-ils la moindre idée de ce que signifient ces chiffres dans le réel ? 2,7°C, (et je n’ose même pas parler de 3 ou 4°C), ça veut dire que ton adaptation, tu peux te la foutre où je pense. Tu ne t’adapteras à rien du tout. Pour la plupart des gens, ce sera juste la merde complètement et pour pas mal d’entre eux la survie, point barre (et là je ne parle que des riantes contrées de l’Europe de l’Ouest. Dans le Global South, ce sera tout simplement un massacre).
Les mecs, ils ont lu (enfin) les rapports du GIEC, ont repris les chiffres, mais ont zappé tout le volume consacré aux impacts. (et je vous assure ce que ce volume est lui-même très très mignon comparé à la manière dont je vois les choses).
Et la blague, c’est qu’en face de ces 4°C ???? on met quoi ? Un plan national d’adaptation au CG fort de 51 mesures qui m’ont fait hurler de rire. Dans lequel on trouve le mot résilience à toutes les sauces. Lisez ce machin : c’est vraiment « on continue de vivre exactement comme on vit maintenant », mais, « on améliore nos capacités de résilience ». Mais quelle bande d’abrutis finis. Putain, les néolibs, en plus d’être des criminels, ils sont stupides. J’arrive même pas à croire qu’ils soient assez stupides pour penser un seul instant que ce plan complètement creux permettra une quelconque adaptation, je ne dis même pas à 2,7°C, mais à 1,7°C.
https://www.ecologie.gouv.fr/presse/presentation-du-plan-national-dadaptation-changement-climatique
En somme ils n’ont absolument rien compris à ce que racontent les scientifiques et tous ceux qui travaillent sur les impacts du CG (présents, passés et à venir). Sans parler des causes : alors là, on est en-deça du néant – à les lire, on a l’impression que le climat s’est soudainement déréglé, pas de bol, sans que personne n’y soit pour rien, comme ça, pif paf boum, 1°C, 2°C, 3°C, c’est con hein, mais bon, ce putain de climat on va le fighter, on va se mobiliser, on va faire bloc, vive la France vive la République et mes couilles en Alaska.
Bon.
J’aurais pu écrire ça avant même d’avoir lu une ligne de ce plan adaptation. Mais ils arrivent quand même à me surprendre avec leurs 4°C. Les mecs s’imaginent réellement qu’avec +4°C dans la tronche il y aura encore quelque chose comme les États-Nations, le Capitalisme, la production industrielle, le travail salarié, les assurances habitations, la rénovation thermique ? Non mais faut être perché hein (et manquer pathologiquement d’imagination).
+4°C, y’aura longtemps que les plus aisés auront fait sécession, vivront dans des domaines fortifiés surarmés après avoir achevé d’accumuler tout ce qu’ils pouvaient accumuler. Il y aura longtemps qu’ils auront renoncé au pouvoir et au profit capitaliste – ils se contenteront de jouir de la fortune qu’ils auront transformé en réserves pour passer ce sale moment, bien à l’abri, protégés par des armées privées.
Et, +4°C, je vous fait le pari que d’ici là, on se sera tapé au moins une guerre mondiale (sans parler de centaines de conflits régionaux de plus en plus monstrueux) + quelques catastrophes nucléaires, et que le monde sera devenu pour des milliards de gens un enfer.
Bref, tout cela est lunaire. Ça fait 20 ans que j’écris sur le climat. Je me demande pourquoi je m’énerve encore.
(SI ! Je suis fou de rage parce que je pense aux générations futures, et aux quelques milliards de pauvres dans le monde qui sont condamnés à l’enfer avec ces « plans » dégoulinants de stupidité, en réalité, des armes létales, de la nécropolitique pure et simple)
NB : Le plus sidérant, c’est qu’ils te balancent +4°C comme si c’était juste un tout petit peu moins confortable que le climat actuel. Ils parviennent ainsi à mettre dans la tête des ignorants que +4°C ça reste un truc viable, on peut y aller rassurés, le plan adaptation est là, on va y arriver les zami.e.s.
C’est un peu comme si on disait : bon, ok, on va se taper une guerre nucléaire totale, mais vous inquiétez pas, on va s’adapter : les pistes cyclables, les canons à neige, les tarifs des assurances, briefer les administrations, et la résilience surtout !
La seule proposition censée après qu’on ait énoncé 4°C en 2100 (et même 2,7°C en 2050) ce serait : « faut changer le système », « faut tout changer » (avec ce léger souci : il est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme » – excepté ma dystopie de la sécession des plus aisés – à la Romero (land of the dead, le Fiddler’s Green building etc…) – dystopie qui n’a rien d’improbable d’ailleurs, je défends la thèse que c’est la porte de sortie que les capitalistes ont en tête depuis toujours : prendre tout ce qu’il y a à prendre, se barrer, et attendre que les choses se calment.)
NB (2)
Il va de soi qu’avec 4°C (et même 3°C) il n’y aura plus d’États-Nations : même la dictature militaire la plus implacable sera dans l’incapacité de « gouverner » (le mot est mal choisi) des populations de millions d’habitants qui crèveront de faim et se battront pour avoir accès aux biens vitaux (à commencer par l’eau). J’imagine plutôt, concernant les plus riches en tous cas, des archipels de cités-refuges, de petits paradis militarisés à mort (et l’enjeu numéro 1 sera, comme toujours, de nourrir les soldats !)
Mais la vraie question ce sera (et c’est déjà à mon avis) quel sera le montant du ticket d’entrée ? Qui sera sauvé, qui sera sacrifié (et je pense très fort aux réflexions d’Achille Mbembé sur la nécropolitique, qui ont été tellement reprises, notamment dans les Critical Studies)
Et là.. je serais très étonné que certains de mes amis n’aillent pas retourner leur veste le jour où il faudra montrer patte blanche (et il vaudra sans doute mieux qu’elle soit en effet « blanche » dans certaines villes) et sauver leur peau. Les indignés d’aujourd’hui ne seront peut-être pas les mêmes que ceux de demain…