Omer Bartov, une tribune dans le New York Times

D’Omer Bartov, l’historien Israélien, j’avais lu il y a quelque temps « L’Armée d’Hitler . La Wehrmacht, les nazis et la guerre », texte qui rapportait les comportements de violence extrême de la Wehrmacht (surtout à partir de 1941) en partie l’état d’épuisement et de démoralisation physique et psychique des soldats (confrontés à des pertes considérables), mais aussi à la propagande nazie, qui en réduisant les ennemis à des « animaux », encourageait ces actes dignes de sociopathes (je le signale parce qu’on retrouve cette mention de « l’animalité » de l’ennemi dans le texte ci-dessous concernant les intentions génocidaires des extrémistes du gouvernement Netanyahou).

Par la suite, il a beaucoup écrit sur le génocide des juifs, et il est devenu un des spécialistes mondiaux sur cette question. Sa tribune dans le NYT aujourd’hui (que j’ai lue via @Pr_Logos) constitue à la fois un rappel des précautions de langage quand il s’agit de nommer des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocides, et une autopsie des discours du gouvernement israélien qui laisse peu de doute sur les intentions génocidaires de certains de ses membres les plus radicaux (intentions qui ne datent pas du 7 octobre dernier concernant certains d’entre eux).

Son dernier ouvrage, Anatomy of a Genocide : The Life and Death of a Town Called Buczacz (2018) traite d’un épisode méconnu de l’histoire de la seconde guerre mondiale, qui s’est déroulé à Buczacz, une petite ville aux frontières de l’Europe de l’est (aujourd’hui en Ulkraine. La mère de Bartov a grandi à Buczacz.) où, dans les dernières années du conflit, toute la population juive fut assassinée par les polices allemande et ukrainienne, tandis que les nationalistes ukrainiens éradiquaient les résidents polonais. Ces populations vivaient en paix depuis des siècles avant que ce drame ne se produise. Ce qui est absolument passionnant et absolument terrifiant dans l’enquête menée par Omer Bartov, c’est que ce génocide n’est pas survenu subitement, sous l’influence d’un édile raciste et illuminé, mais lentement, au cours d’épisodes successifs, sournois, parfois brutaux, parfois noyés dans la « vie quotidienne ». On sous-estime de manière générale la “contribution” des “voisinages”, parfois des proches, des voisins de palier, des personnes qui se croisent tous les jours, dans ces déferlements de violence et de haine. De biens braves gens se transforment parfois en brutes sanguinaires, qui viennent seconder avec zèle et enthousiasme les forces armées. Je suis persuadé que nul pays n’est à l’abri, même en Europe de l’ouest, d’un réveil de ces pulsions socio-pathiques si l’occasion s’y prête (à commencer par les encouragements de responsables politiques et l’impunité promises aux coupables : imaginez un Zemour ou une Marion Maréchal au pouvoir en France par exemple)

Ce « lent » génocide (qui me rappelle le concept de « slow violence » de Rob Nixon) est d’autant plus terrible qu’il demeure relativement inaperçu ou difficilement perceptible. Il fait penser à ce qu’on a appelé (surtout pendant le conflit dans l’ex-Yougoslavie) l’épuration ethnique (concept qui n’est pas inscrit dans le droit international au même titre que le génocide).

La tribune d’Omer Bartov concernant la « possibilité » (ou pas, ou « pas encore ») de qualifier de génocide la répression menée par l’armée israélienne à Gaza doit être lue pour cette raison, et aussi : les dirigeants israéliens doivent bien comprendre que leurs diatribes racistes délirantes résonneront peut-être demain dans un tribunal international et que « l’intention génocidaire », critère indispensable en droit pour la reconnaissance du crime de génocide, qui s’y exprime sans scrupule, ne fera aucun doute.

nytimes.com/2023/11/10/opinion