Concernant ce “réalisme” qui, à droite, chez les “décideurs” économiques, ou chez les réacs, figure l’argument ultime qui vise à forclore tout débat : on le dégaine contre « l’utopie » – ce qui ne va pas dans le sens du réalisme est d’emblée tenu pour utopique (émanation “pathologique” de l’imaginaire).
Mais cette prétention au réalisme, et les actes et règles qui en découlent, servent d’abord à consolider les choses telles qu’elles sont censées être, c’est-à-dire, telles qu’on voudrait qu’elles soient, à commencer par la perpétuation des rapports de force actuels.
Le réalisme est donc l’idéologie (une production imaginaire parmi d’autres) qui fait advenir précisément la réalité, laquelle n’est pas donnée, et sature toute autre possibilité de pensée.
À ce titre, le réalisme (en politique, mais pas seulement en politique !) peut être considéré comme une utopie, ou, vu l’état des mondes qu’il s’agit de maintenir en place, d’une dystopie.
Comment, à bien y songer, appeler autrement ces mondes où près d’un milliard de personnes souffre de la faim, habite dans des bidonvilles insalubres, où tout est menacé par la dévastation, où les guerres et les tyrannies sont le quotidien de tant de peuples ?
Ce n’est pas pour rien d’ailleurs que l’organisation des domaines “culturels” et les politiques éducatives qui accompagnent les politiques réalistes visent à contenir, canaliser (voire annihiler) l’imaginaire (dès la petite enfance).
Car l’imagination est tenue pour une pathologie, comme l’utopie (c’est-à-dire toute conception des mondes qui ne se soumette pas a priori à la conception “réaliste” – donc, si l’on creuse un peu : aux nécessités du “marché” et aux intérêts bourgeois).
Là où tant de gens sont dupes de cette opposition entre réalisme et utopie, c’est qu’ils ne comprennent pas que le réalisme doit tout autant à l’imaginaire que les utopies de gauche par exemple.
Il faudrait alors appeler le réalisme une dystopie.
(Note en passant :
Les tenants de la realpolitik (« faudrait voir à ne pas écorner l’image de nos partenaires commerciaux, les pays du Golfe p.e., ou à ne pas les provoquer, Poutine ou Xi Jiping ») n’ont jamais cessé de ruiner le projet démocratique.
Leur soi-disant pacifisme fait le jeu des régimes prompts à faire défiler les troupes militaires – chacun anticipe la crise, et, au fond, se représente un monde en guerre perpétuelle (dont ils sont nostalgiques en un sens) lequel s’accommode fort bien, soit-dit en passant, de l’extension à marche forcée du libre marché – l’intérêt national est toujours aussi et avant tout un intérêt commercial.)