Le succès des Partis racistes comme occultation du racisme d’État.

Le plus terrible pour les chercheurs qui travaillent sur les sociétés raciales (ou “post-raciales”) quand survient ce genre d’évènement, la victoire d’un parti explicitement raciste aux élections (c’était le cas avec la victoire de Trump aux États-Unis), c’est qu’il vient en quelque sorte alimenter la thèse que le racisme, même massif ou devenu explicite, ne serait au fond qu’un comportement individuel de “mauvais” citoyens, des “bad apples” comme on dit en anglais, qui n’auraient pas intériorisé le dogme selon lequel, dans les démocraties libérales contemporaines, “le racisme n’existe plus” – ou n’est qu’un épiphénomène exceptionnel, une défaillance personnelle (ce recours assez vaseux à la “psychologie individuelle” s’accorde tout à fait, notons-le, à l’anthropologie hyper-individualiste néolibérale, qui, en rabattant les problématique sur l’individu ou le sujet, naturalise l’explication, et permet d’éviter de l’aborder d’un point de vue systémique ou structurel.

Quelques remarques à ce sujet, tirées notamment des Critical Racial Studies (notamment David Theo Goldberg)

outsiderland.com/danahilliot/u

outsiderland.com/danahilliot/l

outsiderland.com/danahilliot/u

Ce faisant, on passe aisément sous silence trois aspects (au moins) “structurels” du racisme dans les sociétés libérales.

1. Les politiques raciales radicales européennes (et pas seulement européennes, on songe aux États-Unis par exemple), qui n’ont pas été instaurées que je sache par des gouvernements d’extrême droite, mais bien par des démocrates libéraux (et parfois même de gauche, ou avec leur soutien). Elles se traduisent notamment par le consensus autour de l’édification de la forteresse européenne, censée écarter les migrants indésirables, faire le tri entre ceux qui viendront alimenter le marché du travail (dans des conditions d’exploitation le plus souvent) et ceux qui seront rejetés. Géographiquement, ces frontières s’étendent parfois très loin aux confins de l’Europe de l’Ouest (jusqu’à l’extrême est de la Turquie par exemple, et bientôt peut-être au Rwanda), mais aussi au sein même des villes européennes, dans ce qu’on peut qualifier d’enclaves de non-droit ou de zones d’exception (les centres de rétention par exemple, les camps de migrants à Calais, etc..)

2. La manière dont le racisme imprègne les institutions (pas seulement la police, mais en réalité, toutes les institutions, scolaire, de santé, l’administration dans son ensemble). Il existe toute une littérature là-dessus, qui va bien au-delà du harcèlement et des violences exercés quotidiennement par les forces de l’ordre envers les racisés, mais, plus “quotidiennement” et plus “normalement”, sous la forme d’empêchements, d’obstacles, de complications dans le rapport aux administrations : ces freins à la mobilité sont à mettre au regard des fantaisies de fluidité absolue et de facilitation de l’existence qui marquent au contraire la vie des blancs aisés dans les smart cities ou les zones urbaines gentrifiées. Les flux d’investissements publiques profitent souvent aux populations blanches privilégiées, au détriment des populations pauvres et/ou racisées. L’accumulation des désavantages, notamment économiques, des racisés, s’ajoute aux difficultés qui leur sont faites, la plupart du temps “involontairement” (unwitting, dit-on en anglais). Parmi des centaines de références, je vous renvoie à l’excellent livre de Nasar Meer – The Cruel Optimism of Racial Justice(2022, Policy Press).

3. Plus profondément encore, on oublie, et cet oubli non seulement ne date pas d’hier, mais rend aussi possible la prétention à la “post-racialité”, et l’ “étonnement” quand le racisme s’affiche politiquement au grand jour, on oublie donc l’histoire raciale sur laquelle sont fondées les États-Nations européens. Cette histoire commence sans doute autour du XVIIIème siècle, s’incarne dans le traitement esclavagiste et colonial, et au sein du capitalisme globalisé. La “whiteness” comme le disent les anglais, mot intraduisible en réalité (il faudrait dire quelque chose comme le privilège associé au fait d’être “reconnu comme blanc”, qui ne se laisse pas forcément réduire aux teintes de la couleur de la peau), se constitue précisément par l’oppression réelle et symbolique, d’un autre rejeté comme indésirable ou menaçant (population qui varie au gré de l’histoire), pas tout à fait humain, auquel doit être réservé un traitement spécifique. Au fond, c’est la thèse que je soutiens régulièrement avec beaucoup d’autres, le suprématisme blanc n’a rien d’une lubie d’extrémistes, mais il est au fondement de la construction des identités européennes. Les règles du jeu ont été conçues par et pour les blancs européens.