Pour ceux qui s’intéressent aux questions relatives au “savoir situé”, et aux relations complexes et fascinantes entre le chercheur (académique, mais engagé) et les acteurs de terrains, militants et activistes – je vous conseille l’article stimulant de l’historien et environnementaliste marxiste Marco Armiero, “Of Ghosts, Waste and the anthropocene”, recueilli dans le passionnant volume : Urban Political Ecology in the Anthropo-obscene: Interruptions and Possibilities, édité par Éric Erik Swyngedouw et Henrik Ernstson (Routledge 2019)
Marco Armiero revient ici sur l’enquête qu’il a menée sur la crise des déchets dans la région de Naples (on se souvient peut-être de cette crise qui a débuté dans les années 80/90, ponctuée par des révélations scandaleuses, notamment le fait que de nombreuses zones habitées de Campanie avaient été contaminées par des déchets toxiques provenant des activités industrielles du Nord du pays)
Il a publié depuis : Wasteocene: Stories from the Global Dum (Cambridge University Press, Elements in Environmental Humanities, 2021). Et co-publié l’année dernière avec deux autres chercheurs : Mussolini’s Nature: An Environmental History of Italian Fascism (traduit de l’italien en anglais, The MIT Press 2022)
Je traduis ici quelques passages de l’article de Marco Armiero, qui feront sans nul doute écho aux réflexions des chercheurs engagés politiquement quand ils se confrontent “au terrain”, auprès des militants et activistes sur des luttes locales.
1. Sur le transfert parfois délicat du lexique des “chercheurs radicaux” vers les communautés militantes.
“Comme je l’ai indiqué avec ma propre histoire de fantôme, les chercheurs radicaux peuvent parfois offrir un vocabulaire critique qui, à son tour, peut entrer dans la vie quotidienne des militants, les aider à voir le monde et la place qu’ils y occupent, et éventuellement les mettre en contact avec d’autres luttes et d’autres lieux. La « justice environnementale » (y compris « le racisme environnemental ») est probablement l’un des concepts les plus puissants. Bien qu’il soit évidemment impossible d’en être certain, mes informateurs – je préférerais dire mes camarades, car le jargon académique “informateurs” rappelle trop celui du renseignement – confirment ma propre impression, en me disant qu’avant 2008, personne dans le mouvement n’avait utilisé ces catégories pour nommer ce qu’il faisait. En écrivant ce chapitre, je me suis rendu compte que, bien que j’aie travaillé pendant plusieurs années sur les luttes contre les déchets à Naples, je ne suis pas sûr de l’évolution de l’analyse des activistes. Si certains tournants sont clairs – par exemple la découverte du problème des déchets toxiques, le lien entre une écologie plus large ou des écosystèmes et la santé humaine, l’expérience de la violence de l’État (voir Armiero 2014b) – il n’est pas si facile de retracer l’évolution de la manière dont les militants ont modifié et développé l’explication de ce qui est arrivé à leurs communautés.
Je dirais qu’avant de formuler le problème en termes d'(in)justice environnementale et de racisme, le récit était centré sur la corruption et l’inefficacité, des arguments qui faisaient écho à une désaffection plus large à l’égard des politiciens et de l’état de la politique. Cependant, lorsque le gouvernement a commencé à ouvrir des décharges, en particulier dans les quartiers populaires, afin de résoudre la soi-disant urgence des déchets, les militants ont commencé à interpréter ce choix en termes de suprématie de la métropole – Naples – sur le reste de la région. En effet, en 1994, l’État, usant de ses pouvoirs, a instauré un état d’urgence en matière de gestion des déchets, qui a transféré les pouvoirs juridiques des administrations locales à une agence ad hoc, le Commissariato di Governo per l’emergenza Rifiuti (Commissariat pour l’urgence des déchets en Campanie) (D’Alisa et al. 2010). Face aux défis d’un état d’exception, les activistes ont trouvé de précieux alliés dans quelques juristes qui ont élaboré une critique des procédures d’urgence qui, selon eux, ne laissaient aucune place à la participation démocratique en ce qui concerne l’attribution des infrastructures de traitement des déchets. Cela ne veut pas dire que la traduction entre les discours des chercheurs, discours plus internationaux sur la justice environnementale, et ceux des activistes engagés dans la lutte sur le terrain, ait toujours été facile et sans friction. Je me souviens très bien de la réaction d’une femme fortement engagée dans les luttes contre le remblayage dans sa communauté. Lorsque je me suis rendu sur place pour présenter la version italienne de l’ouvrage de Joan Martinez Alier, The Environmentalism of the Poor (2002), que j’avais édité en 2009, elle a déclaré avec fierté : « Nous ne sommes ni pauvres ni ignorants ». Pour elle, le titre du livre – en italien Ecologia dei poveri – était en quelque sorte offensant ou, du moins, incapable de rendre compte de sa condition sociale. Personnellement, j’ai toujours été réticent à utiliser le terme “pauvre” comme catégorie, en partie parce qu’il est trop catholique à mon goût, mais surtout parce qu’il est assez discutable de désigner qui est pauvre, et par rapport à quoi ou à qui. Dans le cas de la Campanie, toutes les personnes impliquées dans la lutte étaient blanches et réticentes à se définir comme pauvres. Cela illustre également la façon dont les questions raciales, qui ont été si centrales dans la littérature sur la justice environnementale et qui trouvent leur origine dans les ségrégations urbaines et raciales aux États-Unis, ont eu moins de résonance dans les communautés et les réseaux de lutte dans lesquels j’ai été engagé en Italie. Ici, les références aux identités ethniques sont moins cruciales, à la fois pour construire la mobilisation et pour comprendre quels types de quartiers étaient visés par les décharges. En ce qui concerne la pauvreté, les limites sont également floues. Bien que le revenu par habitant soit un paramètre général utile, qui confirme dans l’ensemble le schéma habituel concernant le ciblage des communautés à faibles revenus pour l’implantation de décharges et d’autres infrastructures de traitement des déchets nocifs, la référence aux chiffres ne convaincrait probablement pas la femme que son nouvel environnementalisme provient du fait qu’elle est relativement pauvre. Cela ne l’aiderait pas non plus, ni elle ni ses voisins, à développer leur lutte. Le discours sur la justice environnementale, bien qu’il s’inspire des luttes menées sur le terrain en divers endroits du monde, est à bien des égards une construction d’universitaires et, parfois, ce discours ne se transfère pas facilement de l’université à la communauté.
(…)
Les sujets subalternes, le racisme environnemental et la justice environnementale sont les catégories les plus significatives qui aient transité entre les chercheurs et les activistes. Un autre espace crucial de contamination entre la théorie et la pratique a été celui des biens communs (commons). J’ai un jour interrogé une femme d’âge moyen d’un quartier défavorisé sur son implication dans la mobilisation populaire contre la décharge. Lorsque je lui ai demandé comment et pourquoi elle s’était intéressée à la question des déchets, elle m’a répondu d’un air contrarié : « Je ne m’intéresse pas aux déchets. Je suis une activiste pour les Commons [elle utilisait le mot anglais] ». Lors de l’entretien, elle a expliqué qu’elle faisait partie de ce que l’on appelle le Rete Commons (le réseau des biens communs), une coalition d’organisations de base formée, comme elle l’a dit, par des femmes et les « enfants sociaux », désignant, à l’aide de cette belle expression, les activistes des Centri Sociali (les centres sociaux), les militants les plus à gauche de la galaxie de la mobilisation napolitaine. Le fait qu’elle encadre la mobilisation sur les déchets – ou plus exactement, son attention sur une décharge spécifique dans un quartier spécifique – en termes de biens communs, était particulièrement étonnant étant donné qu’elle n’avait pas fait d’études supérieures mais avait reçu une formation professionnelle, et pourtant, par son utilisation des biens communs, elle reliait élégamment ce qui est souvent considéré comme des luttes séparées pour les services de santé publique et un environnement propre. Son propre cadrage a principalement émergé d’une pratique de traduction et de réinvention entre le travail théorique contemporain sur les biens communs et les expériences dans son milieu militant, le Rete Commons.”
2. Évaluer la relation entre le chercheur et le militant : inévitables malentendus (mais parfois fertiles !)
“Pour résumer, je pourrais dire que l’histoire des luttes contre les déchets en Campanie est une « success story ». Les chercheurs radicaux, dont je fais partie, ont été en mesure d’influencer le mouvement, en fournissant un vocabulaire critique comprenant des concepts et des outils tels que la justice environnementale, le racisme environnemental, les sujets subalternes, les biens communs et l’épidémiologie populaire. Nous avons également contribué à replacer ces luttes dans un contexte plus large reliant le local et le global. Mais est-ce là toute l’histoire ? Je voudrais compliquer ce qui semble être un récit trop simpliste par quelques réflexions.
Tout d’abord, qui a affecté qui ? Je ne suis pas sûr que les universitaires radicaux soient ici les sujets, ou du moins les seuls et principaux sujets. En ce qui me concerne, c’est le mouvement militant lui-même qui m’a poussé vers l’écologie politique en premier lieu. Après tout, j’étais un historien de l’environnement beaucoup plus discret avant de commencer à travailler sur les déchets en Campanie. Bien que j’aie toujours été un historien marxiste, j’étais à ce moment-là plutôt désenchanté et extrêmement isolé. Par conséquent, je suis sûr que, pour moi comme pour d’autres, il s’agissait d’une relation dialectique plutôt que d’une relation à sens unique entre l’ “objet” de recherche et le “sujet”. En outre, la distinction même entre activistes et chercheurs est floue dans le cas napolitain, et pas seulement en raison de la notion de coproduction, mais à une échelle plus triviale, dans la mesure où plusieurs jeunes activistes ont également entrepris, au fur et à mesure que la lutte s’intensifiait, un doctorat, incarnant ainsi dans leur vie personnelle, le mélange de différentes identités. Je dirais également que c’est précisément dans l’espace de formation que les universitaires établis peuvent contribuer à promouvoir un programme pédagogique émancipateur (oui, « révolutionnaire »).
Deuxièmement, s’agit-il d’analyse ou de perspective ? En tant que chercheurs radicaux, nous avons été en mesure d’offrir un vocabulaire critique pour appeler les choses par de nouveaux noms qui, d’une certaine manière, ont aidé à mieux saisir ce qui se passe. Aujourd’hui, dans le cas de la Campanie, au lieu de parler de corruption et d’inefficacité, les gens parlent de capitalisme, d’injustice environnementale et de racisme, en se connectant à des formes plus anciennes d’exclusion historique, en se plaçant dans une lignée plus longue d’activistes et de citoyens actifs. Ceci étant dit, je ne suis pas certain que nous, en tant qu’universitaires, ayons contribué à une vision des transformations radicales, une vision qui place les derniers au premier plan. En effet, même une notion comme celle de « justice environnementale » peut être cooptée et signifier différentes choses. Après tout, sa mise en œuvre est l’une des tâches de l’Agence américaine de protection de l’environnement, qui ne me semble pas être un agent révolutionnaire. Comment pousser plus loin nos imaginaires et les explorer en tant qu’agents concrets du changement révolutionnaire ?
Troisièmement, s’agit-il de science ou de politique ? J’ai parfois eu l’impression que les militants avec lesquels je travaillais étaient plutôt déçus de ma contribution à leur cause. Ils n’avaient pas besoin qu’un écologiste politique leur dise qu’ils étaient pris dans le pipeline du capitalisme, dans son incorporation boulimique de la vie et des relations sociales. Ils voulaient plutôt savoir comment les déchets étaient éliminés en Californie ou quelles étaient les réglementations régissant les émissions d’incinération en Europe. Des choses pratiques ; proposer des solutions à des problèmes pratiques, ou comment s’organiser plus efficacement. Bien sûr, et c’est le plus important, ils avaient besoin que des chercheurs médicaux prouvent que leur maladie était causée par des déchets toxiques. Une fois, au cours d’une des visites habituelles de sites toxiques, je me suis retrouvé coincé dans une discussion compliquée avec un groupe d’activistes. J’essayais de faire comprendre que la science est toujours politique ; cependant, pour eux, il n’y avait que la « bonne science », celle qui soutiendrait leurs revendications, contre la « science politique », c’est-à-dire la science asservie au pouvoir.”
3. Dans la dernière parti de son article, Marco Armiero revient sur une crise majeure de l’histoire environnementale et politique italienne, la catastrophe de Seveso (1976). Le contexte dans lequel les luttes se sont déployées à cette époque n’a rien à voir avec celui de la crise des déchets toxiques en Campanie. Ce retour historique est riche d’enseignements : les plus âgés parmi mes lecteurs se souviendront sans doute de l’époque où les partis politiques et les organisations syndicales “formaient” leurs adhérents aux perspectives politiques. L’avènement dans les années 80 et 90 des gouvernances néolibérales, accompagnées par les discours sur la fin des idéologies, le démantèlement de l’empire Soviétique et des expériences communistes ou socialistes, l’affaiblissement des organisations collectives, etc, ont contribué à modifier de manière spectaculaire les ancrages politiques des luttes sociales et environnementales, ainsi que la position des chercheurs “engagés” et leur relation avec les militants et activistes.
“De la science, ou l’engagement sans enjeu
Seveso est presque synonyme de catastrophe industrielle en Europe. L’accident de l’usine chimique survenu en juillet 1976 dans cette ville du nord de l’Italie a entraîné une contamination extrêmement élevée à la dioxine pour la population environnante, et la législation européenne visant à prévenir de tels accidents industriels et chimiques porte le nom de l’accident. Cependant, une autre histoire liée à Seveso permet d’illustrer mon dernier point sur la différence entre les chercheurs engagés et les chercheurs militants. Après la contamination à la dioxine, des scientifiques, des psychologues, des avocats et des médecins sont arrivés à Seveso et ont organisé ce que l’on a appelé le Comitato Scientifico Popolare (le Comité scientifique populaire). Ce comité était fortement contrôlé par le Parti communiste italien et par d’autres petits groupes de la gauche radicale italienne, tels que Democrazia Proletaria (Démocratie prolétarienne). Ce comité cherchait non seulement à comprendre l’accident industriel, mais aussi à construire une science capable de remettre en question et éventuellement de transformer les relations sociales de pouvoir qui contrôlaient la production à Seveso et au-delà. L’Église catholique, avec son programme conservateur traditionnel, est également arrivée à Seveso. Le résultat fut une ville divisée en deux, une sorte de microcosme de ce qui se passait dans de grandes parties du monde pendant la guerre froide.
À Seveso, cependant, le rideau de fer a traversé le corps du peuple, déjà imprégné de la lente violence (« slow violence », Rob Nixon 2011) du capitalisme industriel, qui hantait tout de son invisible dioxine. En particulier, le corps des femmes était au centre de la controverse ; étant le lieu biologique de la reproduction, ces corps se trouvaient en première ligne de la violence capitaliste qui forçait les femmes à choisir entre la possibilité ou bien d’avoir des nouveau-nés en mauvaise santé ou bien l’avortement. Cette « liberté de choix » est bien sûr absurde, mais dans le régime capitaliste, la possibilité d’un choix individuel n’est pas nécessairement synonyme de liberté. Être contraint de faire un choix individuel tout en étant prisonnier de la violence de la contamination et de l’exploitation est la métaphore parfaite de l’idée capitaliste de la liberté, consistant davantage en la possibilité de se mouvoir dans une cage plutôt que d’être en mesure de s’en libérer. Tous les experts et les volontaires arrivés à Seveso, les habituels représentants de l’Entreprise, de l’État et de l’Église, et les radicaux du Comitato Scientifico Popolare, offrirent non seulement un soutien matériel aux victimes de la catastrophe industrielle, mais proposèrent – dans le même souffle et par le même biais – leur propre vision du monde et leur propre théorie sur ce qui s’était passé dans cette communauté. Le corps des femmes était à la fois le champ de bataille et la lentille à travers laquelle des visions opposées du monde donnaient un sens à la violence capitaliste de la contamination.
Il est clair que Seveso est une histoire d’une autre époque. Nous pourrions peut-être l’appeler le Politicocène, lorsque les (vrais) partis – basés sur les lignes de fracture idéologiques entre la gauche et la droite – étaient encore en vie et que les partis communistes, en particulier, étaient forts et actifs. En Italie, le parti communiste disposait d’une école de cadres où de nombreux intellectuels italiens étaient formés ou avaient enseigné. Les travailleurs acquéraient également leur formation à l’école du parti. Mais les choses ont changé. Dans les années 1980, tout le monde a célébré la fin des idéologies, le communisme a bientôt été vaincu et le mot “politique” est devenu un gros mot. C’est à cette époque que le fait d’être un intellectuel a commencé à être considéré comme une insulte, une disposition qui est encore très forte en Italie aujourd’hui (mais aussi ailleurs, je crois). La sous-variété des « intellectuels snobs de gauche » est devenue particulièrement pertinente. Quelqu’un devrait retracer quand et comment ce récit a été fabriqué et imposé. De manière impressionniste, je dirais que les émissions de télévision et les films ont été extrêmement influents dans la construction de ce récit (après tout, l’Italie n’est-elle pas Berlusconiland ?). Le message de base était que les intellectuels de gauche n’ont aucune idée de la réalité, qu’ils sont riches et privilégiés et qu’ils méprisent les gens ordinaires. Je ne nie pas que certaines de ces affirmations aient pu être vraies, peut-être surtout parmi les intellectuels institutionnalisés, les universitaires, mais la construction de ce récit était une stratégie délibérée visant à briser la solidarité entre les intellectuels et les travailleurs, qui avait été extrêmement forte, en particulier en Italie.
Entre la catastrophe de Seveso dans les années 1970 et la crise des ordures à Naples dans les années 1990 et 2000, le monde entier a changé. Si j’ai mentionné l’activisme des partis de gauche au lendemain de Seveso, seules les organisations de base ont été impliquées dans la crise des déchets en Campanie. Aucun parti de gauche n’a créé en Campanie quelque chose de similaire au Comitato Scientifico Popolare actif à Seveso. Cela ne signifie pas que les scientifiques n’aient pas été impliqués dans la crise des déchets, mais seulement qu’ils n’ont pas été mobilisés sur la base de l’appartenance à un parti, ni même sur la base d’une identité idéologique stricte. L’Assise de Palazzo Marigliano a été l’expérience la plus influente de mobilisation d’experts dans la crise des déchets napolitaine, mais elle n’était liée à aucun parti politique et a maintenu une inclusion idéologique plutôt ouverte (Armiero 2008 ; Capone 2013). L’engagement des scientifiques et des experts dans le cas de la Campanie confirme que quelque chose a changé dans les relations entre la production de connaissances et les défis sociétaux depuis les années 1980, lorsque le désengagement entre les universitaires et les activistes devint presque total. Aujourd’hui, même les agences institutionnelles demandent instamment aux universitaires de s’engager dans ce qu’on appelle « les grands défis sociétaux ». C’est une vérité que tous les chercheurs qui ont essayé de demander des subventions au cours de la dernière décennie connaissent très bien. Mais nous sommes à l’ère des experts et des faiseurs d’opinion, et non des intellectuels organiques ou des scientifiques militants. Il serait impensable de créer un comité scientifique populaire aujourd’hui – un comitato scientifico popolare.
Quelle est donc la différence ? Je pense que la différence réside entre les experts qui contribuent à résoudre le problème et les scientifiques militants qui proposent une théorie de ce qui se passe et envisagent non pas des solutions mais des révolutions. Les experts impliqués dans la mobilisation des déchets à Naples ont été, dans la plupart des cas, extrêmement utiles à la cause des activistes. Je pense à un géologue qui a aidé les communautés à s’opposer aux décisions gouvernementales ; aux médecins qui ont recueilli des données sur la diffusion anormale des maladies ; aux avocats qui ont déposé les plaintes judiciaires. Il n’en reste pas moins qu’il convient de se demander s’ils se considèrent comme des militants au service d’un agenda progressiste (révolutionnaire ?).”