La “malédiction des ressources” et le “colonialisme vert”

Dismantling Green Colonialism
Energy and Climate Justice in the Arab Region

Si vous n’avez qu’un article à lire aujourd’hui (et si vous vous intéressez aux question de justice climatique), le voici :
Il s’agit d’une interview dans GRIST du chercheur Algérien Hamza Hamouchene : “What abandoning fossil fuels could look like in the Arab world “.

Il touche un point absolument central des politiques climatiques actuelles (notamment celles qui ont été discutées lors de la COP 28). Ce qu’on appelle en anglais “the ressource curse“, c’est-à-dire la situation apparemment paradoxale dans laquelle un pays qui dispose de ressources naturelles en quantité est la plupart du temps gouverné par des régimes autoritaires, ou pseudo-démocratiques, et que l’immense majorité de la population vit dans des conditions de sous-développement économique persistantes, habite des environnements dégradés, ne tire aucun profit des richesses du pays (par exemple n’a qu’un accès limité à l’électricité ou à l’eau potable). Or, cette “malédiction des ressources” n’a rien d’une fatalité : elle s’inscrit dans une logique du capitalisme global qui voit les nations riches (Europe, États-Unis, Chine, et désormais pas mal de pays des BRICS) s’accaparer les ressources de ces régions du monde (avec l’aval des dirigeants locaux). Et, comme le souligne ici Hamza Hamouchene, la transformation “verte” de l’industrie ne change pas grand chose à l’affaire : s’installe, sous l’égide de la COP 28 par exemple, un colonialisme vert qui, sous prétexte de répondre aux impératifs de l’atténuation de la catastrophe climatique, vient surtout permettre aux nations riches de garantir la satisfaction de leur besoin énergétique, tout en diminuant leur empreinte carbone.

Cette interview s’inscrit dans la suite du livre qu’il a coédité avec Katie Sandwell, publié cette année chez Pluto Press (2023) :
Dismantling Green Colonialism Energy and Climate Justice in the Arab Region“.

Un extrait (traduit) de l’interview :

“LY : Il est déprimant de constater qu’un grand nombre de pays qui développent des énergies renouvelables pour l’exportation ne parviennent pas à répondre à la demande d’électricité de leur propre population.

HH : Laissez-moi vous donner un exemple. En Namibie, un grand projet d’hydrogène vert est en cours de construction avec l’ancienne puissance coloniale, l’Allemagne. Le projet est détenu par les Allemands et les Britanniques. Ils construisent un énorme projet, des panneaux solaires, des parcs éoliens, et utilisent ensuite de l’eau dessalée pour briser la molécule d’hydrogène et exporter de l’hydrogène vert vers l’Allemagne. En Namibie, 45 % de la population n’a pas accès à l’électricité, et l’électricité utilisée est importée d’Afrique du Sud. Ce projet serait logique si l’on construisait des centrales solaires et des parcs éoliens pour produire de l’électricité verte pour son propre usage, n’est-ce pas ? Mais pas pour produire de l’électricité verte destinée à l’exportation.

(…)

Nous devons toujours nous demander : qui possède quoi ? Qui fait quoi ? Qui obtient quoi ? Qui gagne et qui perd ? Et quels sont les intérêts servis ? Car si nous ne posons pas ces questions, nous irons tout droit vers un colonialisme vert, avec une accélération de l’extraction et de l’exploitation, au service d’un soi-disant “agenda vert” commun.”