Failure/Refusal (échec/refus)

Un bref commentaire de Sara Ahmed, Queer Phenomenology, ch. 2 :

« Hence, the failure to orient oneself “toward” the ideal sexual object affects how we live in the world; such a failure is read as a refusal to reproduce and therefore as a threat to the social ordering of life itself. The queer child can only, in this wish for the straight line, be read as the source of injury: a sign of the failure to repay the debt of life by becoming straight. »

« Par conséquent, ne pas s’orienter « vers » l’objet sexuel idéal affecte la manière dont nous vivons dans le monde ; un tel échec (failure) est interprété comme un refus (refusal) de se reproduire et donc comme une menace pour l’ordre social de la vie elle-même. L’enfant queer ne peut, dans ce désir de ligne droite (straight line), qu’être lu comme la source d’une blessure : le signe de l’échec à rembourser la dette de la vie en devenant hétérosexuel. »

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Nous avons ici :

La ligne droite (les chemins hétéro-sexués, l’éthique du travail et de la famille) – celle qui se présente comme déjà-là, l’arrière-plan donné comme « ce qui va de soi », et canalise (contraint) le désir vers des horizons pré-établis, des mondes pré-découpés (en vue de sa propre continuation, par la répétition et la reproduction).

Les lignes Queer (ou ce que Sara appelle les lignes du désir (desire lines) – les bifurcations, les lignes obliques, les chemins de traverse, les lignes souterraines, qui ne sont accessibles qu’à la condition d’un refus (refusal) d’un échec (failure) au sens de faire échec – il s’agit non seulement d’un constat d’échec mais d’un acte de résistance, faire échec, c’est échouer à répondre aux attentes, c’est refuser l’alignement – dévier. (c’est pourquoi Judith/Jack Halberstam par de « The Queer Art of Failure« )

Et, cette vie endettée (debt life) – c’est une idée qui m’a toujours travaillé, que j’avais cru lire chez Graeber, dans son livre sur la dette (mais que j’ai élargie depuis avec d’autres lectures). Le sort des subalternes, d’être endettée à la naissance – contraint de passer leur existence entière à rembourser leur dette en travaillant, et dès lors en se pliant aux règles et aux normes institué par le capital – celui à qui la dette doit être payée. Suivre le droit chemin peut d’entendre comme l’acquittement d’une dette : c’est ce que l’on doit non seulement à ceux qui nous ont mis au monde, mais aussi au monde qui nous a accueilli – or, ce monde qui nous accueille cache sous son apparente bénévolence une violence sourde : vous n’êtes bienvenue que dans la mesure où vous suivez les règles et contribuez à votre tour à la répétition et la reproduction. Et si vous naissez de surcroît avec un corps inconvenant (racisé, queer, invalide etc..), alors cette dette s’accroît d’autant, les efforts pour être aligné seront d’autant plus grands, et souffrants, et les promesses fallacieuses du monde auquel vous êtes sommés de vous conformer, répétitivement déçues (car en définitive, quoiqu’on vous répète, ce monde n’est pas fait pour vous, il n’a pas été conçu pour vous, mais pour l’homme blanc d’âge mûr multi-propriétaire – tous les autres, les innombrables autres, ne sont qu’invités, provisoirement, et s’ils échouent, incarcérés, confinés, enfermés).