L’adaptation est une sélection

Maintenant que la lutte contre le réchauffement climatique fait figure de lubie, on ne parle plus que d’adaptation. Mais, alors que ce mot “adaptation” suscite de véritables extases chez la plupart, il ne procure chez moi qu’ennui et dégoût.

Car je ne peux m’empêcher d’y associer les (grots) mots “sélection”, « Loi-du-plus-fort », « survie-du-mieux-adapté », spencérisme, eugénisme &c.

S’adapter, c’est tout faire pour que rien ne change (et surtout pas changer le monde ou nos manières de l’habiter, surtout pas !) L’adaptation à la crise climatique n’est que la continuation d’un présent et d’un passé, dont un des chef-d’œuvres n’est autre, précisément, que le dérèglement climatique.

Et c’est toujours les mêmes qui se caressent le neurone en fantasmant sur les adaptations futures. C’est-à-dire, environ 1/3 (à la louche) de l’humanité, lequel tiers étant déjà fort bien adapté au monde tel qu’il est (au point qu’on a tout lieu de penser que ce monde a été fabriqué pour eux, avant tout, et pas pour les autres), s’apprête à jouir du monde qui vient, monde qui ressemble, à quelques détails cosmétiques près, au monde d’aujourd’hui et à celui d’hier.

Un autre tiers s’échine à surnager, que motive l’espérance parfois vacillante mais tenace comme la lueur au bout du tunnel qu’on entrevoit paraît-il au moment de rendre l’âme.

Le dernier tiers enfin, un gros tiers à vrai dire, qui tendrait au demi, n’a pas le loisir de s’adapter, ou alors c’est confondre survivre et s’adapter, car s’ils sont pris dans la nasse du marché global, ils n’en demeurent pas moins exclus de ses bénéfices.

Voilà pourquoi ces interminables discussions autour des méthodes d’adaptation au monde de la crise climatique me donnent envie de vomir – et ne m’intéressent absolument pas. Les voitures électriques, les centrales nucléaires, la viande de synthèse, les climatiseurs,

Je m’en carre le mou, les bassins de rétention de flotte, les canons à neige, les moteurs à hydrogène, je m’en tamponne le coquillard, je m’en fous.
Obscénités !!
Quoiqu’on fasse, c’est indécent, ou plutôt : puisque c’est juste la continuation de la même ignominie

chacun pour sa gueule et moi d’abord, ce n’est que la réitération sans fin de la même indécence.

Dans Le mal qui vient, Pierre-Henri Castel (dans un essai qui interloqua nombre de ses lecteurs, alors que, pourtant, si l’on est familier de son œuvre, on n’est guère étonné), était irrésistiblement amené à décrire « les temps de la fin », comme il dit, comme manifestant le triomphe des survivalistes et des pervers sadiques égoïstes (grosso modo) – pour ceux qui ne lisent pas PHC, pensez à ces imbuvables séries télévisées décrivant des survivants d’après l’apocalypse : immanquablement, ils se transforment en survivalistes – ce que les Républicains aux States ont imaginé depuis longtemps : la première chose à faire après la fin, c’est vous procurer un gun et apprendre à vous en servir.

Bien sûr, cette vignette futuriste en dit plus sur l’homo neoliberalis d’aujourd’hui que sur les crétins finis qui, pensant se défendre de hordes de zombies, comprennent assez vite qu’ils feraient mieux de se préparer à trucider leurs voisins.

Et l’on voit là une excellente métaphore du spencerisme – s’adapter, c’est penser à soi d’abord, et aux autres comme ressource éventuelle (tant qu’on a encore besoin).

L’idée de justice est fondamentalement étrangère aux théories de l’adaptation.

Voilà comment j’appréhende cette histoire d’adaptation qui fait tant de foin, et n’a pas fini d’en faire, et voilà pourquoi ça me plombe (et y’en a pour des décennies).

Je crois que tout l’imaginaire associé à l’adaptation est d’emblée sélective. Même dans les utopies les plus sidérales, on finit immanquablement par dégager une communauté d’élus, et donc des groupes de “barbares” et d’exclus (qu’ils se démerdent).

Par contre, oui, je ne connais d’organisation politique de grande ampleur qui n’ait pas été, d’un côté une forme d’utopie pour quelques-uns, et de dystopie pour beaucoup d’autres 🙂 Mieux valait à Rome être un notable qu’un esclave non ?

Il en est de même aujourd’hui évidemment pour l’imaginaire qui gouverne les sociétés néolibérales – je dis l’imaginaire parce qu’il s’agit bien du rêve de quelques-uns qui se traduit dans le réel pour tous les autres (quand les premiers sont au pouvoir)

C’est ce qui me tarabuste dans l’imaginaire contemporain de l’adaptation à la crise climatique, c’est qu’il est à la fois utopique et dystopique, tout dépend de la position socio-économique qu’on occupe, de l’endroit du monde où l’on vit, de la violence des gouvernants, etc. Je me réfère souvent au petit livre de Romain Felli, la Grande adaptation, ou à celui de Kasia Paprocki, Threatening Dystopias, qui m’ont beaucoup aidé à comprendre la part de l’imaginaire dans les politiques néolibérales. Mais je crois que je n’ai jamais été très doué pour les utopies. Les dystopies par contre, c’est mon rayon ! (faut dire que c’est plus simple, suffit de considérer le monde tel qu’il est ou tel qu’il fut, et le projeter dans une sorte de futur et on a de chouettes dystopies)