En lisant le fil que propose le chercheur David Chavalarias sur l’état de la désinformation climatique, me venaient les réflexions suivantes, que je publie ici pour ne pas envahir son compte 😅
https://piaille.fr/@davidchavalarias/114782472880481469
Qu’il y ait une entreprise délibérée de désinformation (la preuve en est le nombre de messages propulsés par des bots notamment sur X), je n’en doute pas. Ce qui m’intéresse plutôt, c’est l’impact de cette propagande sur les populations. Je me demande par exemple si l’enjeu est vraiment une question de “savoir” pour ceux qui relaient les messages de la sphère dénialiste. On devrait toujours se poser la question quand une propagande fonctionne : Ont-ils réellement changé d’opinion ? Ou se sentent-ils juste confortés dans ce qu’ils pensaient déjà savoir ?
Le fait que les climato-dénialistes se recrutent surtout dans les milieux (pouvoir et électorat) d’extrême droite et/ou complotistes tend plutôt à faire penser qu’il ne s’agit pas tant d’un enjeu de savoir (au sens d’avoir raison) que de refuser les récits de l’ennemi (les “élites”), parce qu’ils viennent précisément de cette sphère honnie qu’est (pour le dire vite) la démocratie libérale : il n’y a rien d’étonnant dans cette perspective que le récit de la préoccupation climatique soit rejeté au même titre que le supposé multiculturalisme des libéraux, leur “internationalisme”, leurs politiques supposément favorables aux étrangers, aux racisés, aux LGBT, aux “assistés”. La préoccupation pour le climat fait en quelque sorte partie du stock d’idées contre lequel une partie de la droite et de l’extrême droite mène une guerre systématique (mais on en trouverait aussi dans les groupes populistes complotistes “alternatifs” – il n’y a pas qu’à droite que le « rejet des élites » finit par se traduire en un rejet massif de toute information scientifique)
Arlie Russell Hochschild, la grande sociologie américaine qui a beaucoup écouté les populations qui votent massivement pour Trump, écrit qu’au fond ces personnes assument et revendiquent le droit de ne pas prendre soin (The rights not to care), des plus pauvres (qu’eux), des “autres” (« other others », par exemple dans les pays du sud), mais aussi de la planète.
On pourrait le dire autrement, en disant que ce que rejettent les dénialistes, c’est la vision du monde (largement fantasmée, ça va de soi) de celles et ceux qui prétendent « prendre soin » (de manière générale). Dans leur esprit, c’est propagande contre propagande : le pouvoir est aux mains de démocrates libéraux qui sapent les fondements du monde rêvé « d’avant » – pour le dire brutalement, un monde où le statut social des blancs, leur fierté comme dit Hochschild, l’éthique du travail et de la famille, etc. constituaient les valeurs fondamentales de la société – un monde d’avant la globalisation, désormais entraîné dans le chaos, peuplé d’innombrables “autres” menaçants, de supposées nouvelles dépendances, etc.
Au fond, ce qui se joue dans le succès du dénialisme, ce n’est pas tant un enjeu de savoir qu’un conflit de visions du monde, ou, plus précisément encore, le refus des conséquences qui s’ensuivraient si l’on prenait au sérieux le savoir climatique produit par la communauté scientifique. Ce pourquoi d’ailleurs on met encore plus de soin à nier la responsabilité “humaine” que la réalité du changement climatique. Penser les activités humaines comme responsables de la catastrophe, c’est de leur point de vue être désigné comme coupable. Je signale au passage que ce « refus de se sentir coupable », ou cette lutte (féroce) contre le sentiment de culpabilité, et les exigences de justice, de réparation et plus généralement de changement qu’il implique, vaut aussi bien pour le récit climatique que pour l’histoire : le dénialisme va souvent de pair avec des refus de lire l’histoire passée (notamment coloniale) qui confine au négationnisme. (Songez au refus de la “repentance”)
Et, dernière remarque, le thème de l’écologie punitive, assez emblématique de ce refus de prendre au sérieux les impacts réels du changement climatique, a fait flores bien au-delà des sphères complotistes ou d’extrême droite : les milieux d’affaire et les gouvernants néolibéraux ne sont pas aussi éloignés sur ce point des dénialistes d’extrême droite que ces derniers le pensent. Contrairement à ce qu’ils imaginent, les politiques cyniques des néolibéraux (les élites supposément libérales et démocrates) s’emploient fort bien à refuser, elles aussi, les conséquences du changement climatique, le traiter comme une crise (semblable à toutes ces crises dans lesquelles s’épanouit la culture et l’économie capitaliste – une crise est d’abord une opportunité pour le business – que ce soit une guerre, une catastrophe, l’éclatement d’une bulle financière, etc.), plutôt que comme une catastrophe nécessitant un changement drastique des manières d’habiter le monde des classes aisées en Europe, aux États-Unis et ailleurs.