We Grown now (Minhal Baig)

Je suis bouleversé. C’est un des plus beaux films qu’il m’ait été donné de voir.

We Grown now, de la réalisatrice Minhal Baig, suit la trace deux gamins qui vivent dans cette cité, Cabrini-Green, à Chicago, qui est devenue un des symboles de la ségrégation raciale aux États-Unis. Que la poétesse Dorren Ambrose-Van Lee qualifie de ghetto. Curtis Mayfield, Ramsey Lewis, Jerry Butler, Terry Callier, soit quelques-uns des plus grands musiciens du jazz et de la soul, y sont nés ou y ont grandi.

fr.wikipedia.org/wiki/Cabrini-

Ce film me donne l’impression de plonger dans un texte de Saidiya Hartman. L’écriture des dialogues et des monologues est d’une finesse, d’une justesse. Je crois que rien qu’en lisant le texte du film, je serais en larmes du début à la fin (c’est l’état dans lequel m’a plongé Wayward Lives, Beautiful Experiments, de Hartman)

Tout est sublime. Pure Poetry.
(Il y a tout de même un moment où j’étais en rage. Où j’avais envie de tuer des flics. Une rupture incroyable dans la narration. Je lis depuis des années des livres, notamment américain, sur le racisme structurel de nos démocraties libérales. Mais certaines scènes du film valent bien des livres que j’ai lus. Les résument tous.)

Blake Cameron James, Gian Knight Ramirez, les interprètes des deux personnages dont l’amitié porte le film, sont incroyables.

J’étais déjà amoureux fou de Jurnee Smollett après l’avoir vue dans Lovecraft Country, et ce film n’a certainement pas arrangé mon cas.

Je songe à cette citation de Michael Hanchard que j’ai lue dans le livre de Nasar Meer (The Cruel Optimism of Racial Justice) cet après-midi :

“Unequal relationships between dominant and subordinate groups produce unequal temporal access to institutions, goods, services, resources, power, and knowledge …When coupled with the distinct temporal modalities that relations of dominance and subordination produce, racial time has operated as a structural effect upon the politics of racial difference. Its effects can be seen in the daily interactions—grand and quotidian—in multiracial societies.”

“Les relations inégales entre les groupes dominants et subordonnés produisent un accès temporel inégal aux institutions, aux biens, aux services, aux ressources, au pouvoir et à la connaissance… Associé aux modalités temporelles distinctes que les relations de domination et de subordination produisent, le temps racial a eu un effet structurel sur la politique de la différence raciale. Ses effets sont visibles dans les interactions quotidiennes – grandes et petites – des sociétés multiraciales.”

‘Afro-Modernity: Temporality, politics, and the African diaspora’, Public Culture, 11(1999, 1): 245–68.

Et bien sûr W.E.B. Du Bois (Darkwater, 1920)

“The discovery of personal whiteness among the world’s peoples is a very modern thing’, and one through which has been claimed ‘the ownership of the earth forever’, where ‘the black world gets only the pittance that the white world throws it disdainfully.

(…)

Everything great, good, efficient, fair, and honorable is ‘white’; everything mean, bad, blundering, cheating, and dishonorable is ‘yellow’; a bad taste is ‘brown’ and the devil is ‘black.’ The changes of this theme are continually rung in picture and story, in newspaper heading and moving-picture, in sermon and school book, until, of course, the King can do no wrong, – a White Man is always right and a Black Man has no rights which a white man is bound to respect.”

“La découverte de la blancheur personnelle des peuples du monde est une chose très moderne, et une chose par laquelle a été revendiquée “la propriété de la terre pour toujours”, où “le monde noir n’obtient que la pitance que le monde blanc lui jette avec dédain…

(…)

Tout ce qui est grand, bon, efficace, juste et honorable est “blanc” ; tout ce qui est méchant, mauvais, maladroit, tricheur et déshonorant est “jaune” ; le mauvais goût est “brun” et le diable est “noir”. Les variations de ce thème sont continuellement reprises dans les images et les histoires, dans les titres de journaux et les images animées, dans les sermons et les livres d’école, jusqu’à ce que, bien sûr, le roi ne puisse pas faire de mal, que l’homme blanc ait toujours raison et que l’homme noir n’ait pas de droits qu’un homme blanc soit tenu de respecter.”