En me baladant ce matin autour du village de Fournols, petite bourgade sur les hauteurs du Livradois, cernée de vastes et denses forêts (à perte de vue, littéralement, car on s’y perd facilement), j’ai débarqué, au sortir d’un sous-bois, dans un village de vacances : une série de petits maisonnées, en pierre ou en bois, avec jardinets, des allées goudronnées qui les relient, des panneaux indiquant : “Bibliothèque”, « Espace Enfant », « Aire de jeu », « Ateliers créatifs », “cuisine”, “accueil”, etc.
Quelques familles marchaient sur les allées, sans me regarder (moi, avec mon petit sac à dos, mon bâton, mon imperméable – j’avais l’impression d’être un Sans Domicile Fixe, et parfaitement invisible). J’ai voulu, par instinct, dire “bonjour” – mais j’ai renoncé. Ma présence devait sembler trop incongrue pour être perceptible je crois. Et je ne souhaitais pas les déranger. (je pense ici au livre de Lauren Berlant : On the Inconvenience of Other People.
Mais surtout, cette brève traversée du Village Vacances m’a immédiatement ramené à mon enfance. Quand j’étais gosse, dans les années 70, nous passions quelques semaines en été dans un village de ce genre (en moins “chic” sans doute). C’était l’époque où les Comités d’entreprise et les Syndicats prenaient en charge bien plus que la défense des salariés, mais aussi une partie de leur vie. Nous étions une famille “nombreuse” (4 enfants, ce qui fait 6 avec les parents), mon père bossait à l’usine, nous faisions encore partie du prolétariat (dans les années, la famille avait plus ou moins accédé à la « classe moyenne » – descendue du HLM à la maison individuelle – sauf qu’on n’en a pas joui très longtemps, vu que c’est à ce moment-là que le couple parental a explosé).
Bref, nous allions en vacances avec des gens « comme nous » – de la même classe. Autant dire que ça ne se mélangeait pas, socialement. Pas de cadres ici, mais des ouvriers qualifiés pour dire vite.
Ces villages vacances de mon enfance, tout comme le village que j’ai traversé ce matin, un peu sonné (je ne m’attendais à éprouver ce genre de sentiment), constituent de véritables communautés autonomes – du moins est-ce l’illusion qui en structure l’organisation et fixe le fil directeur (les “activités” et l’agenda d’une vie qui, finalement, ressemble assez à la vie habituelle du travailleur, avec ses horaires de lever, de coucher, et des repas, ces plages de délassement, entre deux “activités” donc (atelier poterie, jardinage, promenade guidée, etc.). Il y a de l’ordre. Tout est très bien ordonné. (mais, rassurez-vous, il y a quelque part dans un bureau au sous-sol un comptable qui compte ! )
Un entre-soi utopique pour le prolétariat (mais sans patron, sans contremaître ! Ce qui n’est pas rien !)
Une réalisation remarquable des « congés payés ».
Mais, bizarrement, le village vacances a des allures de secte. Ses habitants (provisoires) ne se mélangent pas aux autochtones : par exemple les habitants du village voisin, lequel village “permanent”, est situé à bonne distance du village « de vacances ».
Les vacanciers de ce matin, s’ils s’avisent, pour une raison étrange (car tout est fait pour qu’ici, dans le village vacances, ils ne manquent de rien), d’aller au village (Fournols), doivent grimper par un chemin pentu durant une bonne quinzaine de minutes. Il faut admettre qu’ils n’y trouveront pas grand-chose à faire : il y a bien un café, avec terrasse, mais la boulangerie était fermée quand je suis passé, et la bibliothèque, bien qu’ouverte, n’accueillait aucun lecteur.
Là où nous allions le plus souvent quand j’étais enfant, c’était : « à Laruns », dans la vallée d’Ossau. Mais le bourg de Laruns, je ne l’ai découvert en réalité que bien plus tard, quand je retournais sur les lieux en randonnée solitaire, alors qu’à l’époque de ces « vacances familiales », nous ne descendions quasiment jamais au village. Il faut dire que le centre de vacances était juché sur un bout de montagne surplombant Laruns et la vallée, si bien qu’à pied, il fallait bien trente minutes à l’aller et une bonne heure au retour, en montée qui plus est, pour faire le trajet d’un village à l’autre.
Oui, quand j’y repense aujourd’hui, et en traversant telle une ombre un peu triste le village vacances de ce matin à Fournols, il me semble que ces lieux, avec leur ambition d’autonomie et d’alternative au « monde du travail » (l’aliénante usine) – toutes deux en partie illusoires, ressemblent un peu à des sectes.
D’un autre côté, dans mon souvenir en tous cas, ces villages de familles ouvrières en vacances témoignent aussi d’une époque passée, où le prolétariat existait bel et bien, structuré par des organisations et des ordres collectifs, des idéologies, des luttes, une époque où l’on pouvait encore croire que des améliorations de la vie et du travail étaient possibles, où l’on s’apprêtait à renverser les rapports de classe en votant à gauche.