Unite the kingdom : le désir néofasciste d’ordre et de purification

Cette manif aux allures de coup d’état populiste fasciste, Unite the Kingdom, me plonge dans une terreur absolue.
Toutes ces images de foules vociférantes qui reviennent, en noir et blanc (et parfois en couleur)

à lire ici par exemple dans The Guardian.

(et : avez-vous vu ces yellow jackets en tête de cortège ? Un hommage peut-être ?)
(et, cette femme qui brandit la photo du martyr Charly Kirk)
(et, tiens, y’avait Zemmour à la manif)

C’est une manifestation raciste pure et dure. De suprématistes nationalistes blancs. (et internationalistes d’une certaine manière)

ah, le peuple ! Vive le peuple ! Ce fantasme pourri décrépi qu’on brandit à droite comme à gauche. Vous verrez quand ledit peuple, sympathique par définition, viendra vous lyncher pour une raison ou pour une autre.

On est en Grande-Bretagne, un pays qui pratique, à l’instar de ses voisins européens une politique migratoire complètement raciste – qui date d’au moins deux décennies. Où la plupart des racisés sont des descendants des populations colonisées à l’époque où la Grande Bretagne avait établi un empire d’une extension jamais vue dans l’histoire du monde, asservissant et exploitant des centaines de millions d’êtres humains, et pillant leur environnement. Un empire dont l’héritage est révoltant : la partition de l’Inde, le bourbier Israelo-Palestinien, et bien d’autres catastrophes géopolitiques dont les effets s’étalent encore, interminables, voilà leur œuvre à ces génies, Churchill et ses amis, viscéralement racistes.

Un empire dont on ne sait plus rien outre Manche, sinon qu’on en regrette la fierté qu’il inspirait quand le royaume dominait la terre. Dont on a effacé soigneusement les horreurs : les génocides notamment, commis bien après la fin de la seconde guerre mondiale, comme celui des Mau Mau au Kenya.

Lisez sur cet Empire le livre implacable que Caroline Elkins lui a consacré, Legacy of violence : a history of the British empire, New York : Alfred A. Knopf, 2022.
Ou bien celui de Priya Satia, Times Monster. History, Conscience and Britains Empire (Havard University Press 2020)

Qu’on soit clair. Ces manifestants qui s’en prennent aux politiques migratoires se foutent de nous : la forteresse européenne est déjà raciste, de bout en bout. Non, leur plainte, c’est : « ON N’EST PLUS CHEZ NOUS » – et s’ils ne se sentent plus chez eux, c’est à cause de la présence des racisés, des gens d’une autre couleur de peau que la leur. Des gens qui ne sont pas « nous ». Qui les embarrassent, les indisposent, les révulsent, leur donnent envie de vomir. Ils voudraient rester entre blancs. Voilà tout. Sans eux, ça irait mieux.

Ils ont perdu leur fierté d’être blancs, d’être des sujets de sa Majesté. La menace, c’est la couleur. Ces other others, ces autres qui, parmi tous les autres, ne seront jamais « nous ». Leur nationalisme dégouline de haine et sert de prétexte à la fabrication d’un « nous » délirant. D’une foule unie dans la même scansion haineuse.

Ah, la fierté perdue ! Assommés, humiliés, crétinisés, après des décennies de néolibéralisme, les voilà qui, n’ont d’autre priorité que s’en prendre aux racisés. Et qui veulent un leader, un qui parle fort, un bien viril, qui hurle tout haut ce qu’on les contraignait soit-disant à taire (alors que le racisme est devenu complètement mainstream en quelques années, mais peu importe).

Voilà en tous cas une vraie manifestation fasciste (et dieu sait que j’emploie le terme avec prudence, une prudence que j’assume), qui remplit toutes les cases, y compris l’appel au guide et au sauveur. (L’extrême droite américaine ne s’y est pas trompé qui en fait des tonnes pour encourager le pays cousin sur cette voie).

Ah, encore un mot : que cette manif ait lieu alors que gouverne l’aile droite du labour, c’est-à-dire une soit-disant gauche qui ressemble comme deux gouttes d’eau à n’importe quel gouvernement néolibéral en Europe, cela n’est pas anodin. Car on soupçonne Starmer, à tort, de favoriser les racisés et l’immigration, alors que dans ce domaine et bien d’autres, il ne diffère en rien de ses prédécesseurs. Mais voilà, c’est le labour. C’est une menace, comme le Parti Démocrate aux États-Unis (qu’ils soit néolibéral jusqu’à l’os n’y change rien).

Bref, tout cela est horrible.

Parce qu’évidemment, l’exemple britannique n’en est qu’un parmi d’autre, impressionnant, mais qui ne fait que confirmer le poids désormais majoritaire de l’extrême droite dans les population‧ Ajouté aux votes conservateurs, que reste-t-il aux gauches européennes ? Que reste-t-il, quand, à gauche, les partis populistes « de gauche » sont les seuls à surnager un peu ?

Rien.
Le néant.
On a ou bien des partis nationalistes populistes à droite, des partis populistes à gauche, une alliance néolibérale et néoconservatrice au centre, et quelques partis plus ou moins de gauche ou écologistes qui rêvent d’un capitalisme vert à visage humain.
Tous nationalistes en diable d’ailleurs, le patriotisme chevillé au programme.

(PS : et n’allez pas me parler du 10 septembre ce soir, j’ai pas l’humeur à la plaisanterie, et je bloque à tour de bras en ce moment
Ou de l’influence irrésistible des médias de masse.
Sans déconner : je connais des tas de gens qui regardent la télévision et que ça n’a jamais conduit à devenir raciste.

Et la fierté perdue. Moi, qui suis un vrai précaire, un vrai déclassé, je ne me suis jamais senti fier d’être banc, d’être un mâle, d’être français, bien au contraire. J’ai toujours détesté ce pays, son arrogance. J’ai toujours haï toute forme de patriotisme.

Il faut arrêter avec cette histoire d’influence comme si les gens n’étaient pas assez cons pour être racistes et décréter qu’ils ne prendront soin de personne, excepté leurs proches et ceux qui leur ressemblent, et surtout pas des autres, des racisés, des plus pauvres qu’eux, de la planète, etc..
J’en ai ma claque de ces explications par l’influence. Internet n’existait pas dans l’Italie pré-mussolinienne, ou l’Allemagne pré-nazie. Il n’y avait pas besoin de médias de masse pour entraîner des populations entières derrière un leader fasciste nationaliste.
La gauche se fourre le doigt dans le nez jusque dans l’omoplate en restant bloquée sur des explications aussi minables. Elle ferait mieux de contempler sa propre stupidité et mesurer l’étendue de son impuissance.
Bref sortez de vos obsessions nationales et locales, dépassez les frontières de vos esprits sclérosés et constatez l’extension du désastre.
Il est trop tard. Et ça fait longtemps qu’il est trop tard. Comme pour la catastrophe climatique.