Littérature et air du temps

(1) Je viens de lire Le Promontoir de Henri Thomas. Saviez-vous que ce livre avait été récompensé du prix Femina en 1961. C’était là une autre époque où les jurys s’intéressaient à la littérature.
Ils mettaient en valeur un texte qui éprouvait de manière subtile les formes narratives, interrogeait le statut du récit, de la fiction, du réel. Non sans ironie d’ailleurs. =>
(3) Aujourd’hui, l’ambition littéraire ne fait évidemment plus recette, on récompense la thématique, l’air du temps, ce qui est censé parler aux gens n’est-ce pas.
(4) Le texte doit combler l’attente supposée des lecteurs, confirmer leur vision du monde, faire écho à leur expérience. Le succès est à ce prix.
(5) Un programme comme celui formulé par mon cher Werner Kofler n’a aujourd’hui aucun sens : “L’art doit détruire la réalité” – au contraire, l’art doit conforter la réalité dans son empire.
(6) Mes auteurs favoris (Kofler ou Hildesheimer, pour ne citer que ceux dont je me sens le plus proche) se donnent pour tâche de ruiner les certitudes que véhicule la propagande de la réalité.
(7) On ne peut plus dirait-on, se permettre ce genre de mise à l’épreuve. Peut-être sommes-nous trop perdus. peut-être avons-nous tous besoin d’une grande thérapie (“All of us need major healing” chante David Bazan)
(8) Peut-être attend-on (mais “qui” attend cela, ou suppose que nous l’attendions) d’un roman qu’il soit avant tout thérapeutique, qu’il réconforte, qu’il affermisse le sol stable (quoique tissé de symbole) de la réalité.
(9) Une illusion de plus assurément – nous sommes déjà perdus, il ne faudrait pas qu’un méchant livre nous égare plus encore (et peu importe que nous ayons gagné, à le lire, un peu de lucidité)