Illiade lipogrammatique

Plongé depuis hier soir dans le volume co-édité par Richard Hunter et Ian Rutherford, Wandering Poets in Ancient Greek Culture. Travel, Locality and Pan-Hellenism, Cambridge University Press , 2009.

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C’est fou le nombre de poètes antiques dont il ne nous reste qu’un nom, et à peine quelques vers, un épigramme, une mention incertaine. Pourtant, certains étaient de véritables stars : Dion Chrysostome dans un de ses discours (19,2-3) nous évoque l’engouement des populations quand l’un de ces poètes débarquaient en ville :

« Lorsque j’étais à Kyzikos, le plus grand Citharode vivant et qui, selon certains, n’avait rien à envier à ceux du passé, est arrivé (…) Dès que les gens ont appris que cet homme était en ville (…), il y a eu une excitation incroyable et tout le monde s’est dirigé vers la salle du conseil [où les spectacles allaient avoir lieu]. J’ai moi-même rejoint les premiers rangs de la foule, pensant que je pourrais moi aussi écouter et partager avec trois mille personnes et plus un divertissement aussi merveilleux ».

De quoi faire rêver nos propres poètes, lesquels peinent à remplir, quand ils sont invités, l’arrière-salle obscure d’une libraire  ( la poésie accompagnée à la cithare, c’est la voie du succès !) (NB : pour info, Dion de pruse, dit aussi Dion Chrysostome (bouche d’or) est un fameux orateur qui vécut au premier siècle ap. JC)

(NB, j’apprends aussi que le poète du deuxième siècle ap. JC, Nestor de Laranda, qui écrivait des poèmes en grec, a composé une Illiade lipogrammatique (ainsi que des Métamorphoses). C’est la Souda qui nous en parle : malheureusement il ne reste pas un mot (et pas même une lettre  ) de ce texte qui avait l’ambition de re-écrire l’Illiade avec la contrainte de ne pas utiliser la lettre qui servait à numéroter chacun des chants : ainsi le chant 1, alpha, ne contient pas une seule fois la lettre alpha, le chant 2, jamais la lettre bêta, et ainsi de suite ! C’est là le genre de jeu auquel se livrait déjà les poètes antiques, et qui préfigure les exercices de l’OULIPO ou la Disparition de Perec.

of Laranda, in Lycia,[1] an epic poet, the father of the poet Pisander.[2] He was born in the time of the Emperor Severus. [He wrote] a missing-letter Iliad. In similar fashion Tryphiodorus[3] wrote an Odyssey. There is in the first book no letter alpha to be found and likewise, rhapsody by rhapsody, its letter of the alphabet left out. [He wrote] Metamorphoses, as did Parthenius of Nicaea,[4] and other things.

Le passage de la Souda évoque aussi un certain Tryphiodorus qui aurait fait de même avec l’Odyssée.