J’emprunte l’expression au guide de montagne Didier, qui vit seul au col de Prat-de-Bouc, que j’ai croisé au buron ce matin, on a bu un café, lu une bière, on revenait d’une virée à skis là-haut. Il est pas mal notre bureau hein ?! — je me suis dit tout à l’heure en faisant la sieste avec les chiens, la montagne, que je pratique presque tous les jours, elle est en train de me changer. La peau de mon visage est noire et creusée par la neige et le soleil. Je sens mes os, mon corps, mes muscles, plus solides, et plus souples à cause du ski. J’ai moins peur aussi. Une forme de savoir, très intuitif, peu explicite, de ce qu’est la neige, la pente, mon propre corps, ce dont je suis capable ou pas. Quelque chose comme une juste mesure : Ramuz disait : la mesure de l’homme, la montagne aide à trouver ce genre de mesure. Évidemment, au fur et à mesure que je ne fais plus qu’un avec la montagne, je me sens extraordinairement éloigné des villes, et pour tout dire, elles me font peur. J’ai aussi pris l’habitude de m’arrêter durant chaque randonnée un moment pour méditer, je quitte les skis, trouve un endroit abrité du vent, m’assois sur l’herbe ou sur la neige, et je demeure immobile, à l’écoute. En redescendant, j’ai pensé à l’avenir et je me suis dit, à quoi ressemblera mon avenir, qu’est-ce que je vais faire maintenant ? À vrai dire, je n’en ai aucune idée. Un ami va publier mon livre, peut-être ça va m’aider à en écrire un autre, peut-être pas, les patients viennent à mon cabinet, mais il se peut qu’un de ces jours, ils ne viennent plus, ou encore moins nombreux, quel genre de travail devrais-je faire plus tard ? J’ai 46 piges et je me retrouve bien plus indécis que je ne l’étais à 20 ans. C’est à la fois angoissant et agréable. Ce sentiment de liberté radicale. Qu’importe, il y a aura d’autres hivers, et ce dont je suis sûr, tant que le corps m’y autorise, il faudra que je sois de la partie, la partie de l’hiver.
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