Grizzly Man, la fabuleuse et paradoxale histoire de Timothy Treadwell

Le documentaire de Werner Herzog retrace la vie de Timothy Treadwell, qui  vécût plusieurs étés successifs dans une vallée du Katmai National Park and Preserve en Alaska, au milieu des Grizzlys, les filmant d’extrêmement près. Voici des liens intéressants concernant ce film et son malheureux héros :

Sur le film de Werner Herzog proprement dit :

la page d’IMDb (la grande base de données du cinéma international)

On trouve beaucoup de critiques sur le net, et des avis partagés : en gros, les opinions concernant le cas Treadwell et le film s’étalant entre deux pôles extrêmes, ceux qui considèrent que Treadwell est fou, et incarne l’exemple d’une position écologique naïve et désastreuse, et ceux qui, à l’opposé défendent son radicalisme, son refus des valeurs de la société « civilisée ».

Ces derniers sont évidemment à l’initiative du site qui prétend prolonger l’oeuvre de Tradwell, grizzly people (sur lequel on trouve de nombreuses photographies et vidéos, et qui met en place des conférences, des interventions militantes etc)

De nombreuses pages web ont été mise en ligne concernant ce qu’il convient aujourd’hui d’appeler The Timothy Treadwell Incident, c’est-à-dire l’accident dont il fut victime avec son amie Amie Huguenard, dont cette étude tout à fait passionnante (mais en anglais) qu’il faut absolument lire (publié sur le site d’un véritable passionné des ours) :

http://www.yellowstone-bearman.com/Tim_Treadwell.html

Le cinéaste Werner Herzog est un de mes préférés, et n’a cessé de s’intéresser aux destins singuliers de ces hommes qui défient la nature ou l’infini. je vous conseille tout particulièrement les deux films qu’il a tournés dans la forêt amazionienne, Aguirre, la colère de Dieu et Fitzcarraldo, avec le génial acteur Klaus Kinksy.

Je signale au passage que la musique du film est due à l’excellent Richard Thompson, qui fit partie des Fairport Convention, un très grand folk singer et compositeur.

Treadwell-8Pour finir je copie une partie d’un texte que j’ai publié sur un autre blog et dans lequel je mentionne le cas Treadwell et le film de Herzog (le texte en entier est lisible ici) :
« Timothy Treadwell vécut au milieu des ours sauvages d’Alaska chaque été durant treize ans. Au milieu de toute une littérature le concernant, comprenant les textes et les vidéos qu’il a laissés, surnage un film exceptionnel de Werner Herzog, Grizzly Man . Timothy se présentait comme investi d’une mission écologique (genre : sauvegarde des ours), ce qui l’amenait non seulement à planter sa tente durant de longs mois au cœur même du territoire des ours, mais à nouer avec eux des relations de proximité, dont témoignent ses nombreuses vidéos, dans lesquelles il se filme à quelques mètres à peine de ses protégés. Il prend des risques considérables. Ce dont il a conscience, et il le répète à longueur de pellicule. Ces documents sont très étranges. Timothy semble avoir vraiment la trouille, il n’est pas inconscient, il ne cesse de rappeler que l’animal peut lui arracher la tête d’un coup de patte et le dévorer, qu’il n’aurait aucune chance de lui échapper, il fait preuve paradoxalement d’extrêmes précautions dans l’approche des bêtes, fait montre d’un savoir, d’une technique qu’il est sans doute un des rares êtres humains à avoir poussé aussi loin, et dans le même temps, il se comporte de manière complètement déraisonnable, dans la mesure où nous paraît raisonnable le désir de rester en vie et de ne pas finir dépecé entre les pattes et dans la gueule d’un ours. L’ambiguïté, à bien y penser, vient probablement que ce qui « nous » paraît raisonnable dans ce genre de situation, n‘était pas ce qui paraissait raisonnable à Timothy (et se fonde aussi sans doute sur « ce que les ours font à l’homme », c’est-à-dire à la fois et dans le désordre, qu’ils peuvent inspirer une immense terreur, une tendresse de peluche et de douceurs infantiles, et un sentiment de puissance et de virilité infinies). Tout le documentaire de Herzog fait resplendir l‘énigme que constitue le désir de cet homme. C’est à ce genre d‘énigme que je m’intéresse ici. Pas plus qu’Herzog, je ne souhaite expliquer le cas Treadwell, mais plutôt : donner matière à penser. Je note aussi cette dimension tragique : on sait, on sent, on ne peut pas ne pas savoir comment ça va finir. Mal. (comme œdipe diront certains de mes collègues qui ne manquent jamais une occasion de le placer) À la fin du film, dans un passage particulièrement troublant, Herzog prend position : l’amie de Treadwell est au premier plan (c’est la seule fois où elle apparaîtra sur la pellicule, juste avant d‘être dévorée), l’ours juste derrière, à quelques mètres. Timothy déclame tout l’amour qui lui paraît exister entre la bête et lui, la relation de confiance, le rêve d’une société anthropo-ursine (je fais référence ici au concept si fécond de « société anthropo-canine » développé par Dominique Guillo ). Herzog fait alors ce commentaire en voix off :

ce qui m’obsède c’est que sur tous les visages de tous les ours que Treadwell a filmés, je ne trouve aucune affinité, aucune compréhension, aucune pitié. Je vois seulement une colossale indifférence de la nature. Pour moi il n’existe pas de monde secret des ours. Et ce regard vide n’exprime qu’un vague intérêt pour la nourriture. Mais pour Thimothy Treadwell, cet ours était un ami, un sauveur.

Qu’est-ce qui pousse Timothy à dépasser les limites que la plupart des êtres vivants se fixent quand ils sont amenés à rencontrer des ours ? Une nostalgie des ours en peluche ? Si tel était le cas, on en verrait plus souvent des Timothy Treadwell. Ce qui me frappe, c’est l’alternance systématique d’un côté, de la peur, de la conscience du danger, la manière dont il explique les précautions qu’il faudrait prendre en de telles circonstances, et, de l’autre côté, de ce ton exalté, revendiquant, et parfois même hurlant toute la haine qu’il éprouve pour les rares humains qui s’aventurent dans ces parages, les chasseurs, les touristes, les rangers en charge du parc. J’ai l’impression qu’il combat sa propre peur, qu’il en évacue au moins une part, en déployant toute cette fureur sur l’humanité. Cela va bien au-delà, je crois, de ce que nous appelons la phobie. Mais, si on veut essayer ce modèle un peu étroit pour éclairer le cas Treadwel, on pourrait presque dire qu’il y aurait là un objet « contra-phobique » extrêmement singulier, au sens où l’objet contra-phobique est ici le même objet qui suscite la plus grande peur, la peur panique. Comme si le moyen trouvé par le sujet pour transformer sa peur en quelque chose de viable, c‘était précisément de la dominer en « apprivoisant » l’objet terrifiant. On peut imaginer qu’au départ de tout cela, une ambivalence, un clivage particulièrement irréductible avait marqué l’objet, ne laissant pas d’autre choix au sujet que de s’y confronter jusqu‘à la mort, d’y consacrer l’entièreté de sa vie. »