I
Tout à la fois
Infiniment riche en mondes
érudit en perdition dans les combles de la bibliothèque
colporteur d’histoires chargé comme une mule
trafiquant de mensonges et de vérités
Infiniment pauvre en monde
ascète balayant les feuilles devant la cabane de tôles
philosophe à sa promenade rituelle dans les allées des jardins de Königsberg
et chaque soir avec le chien jusqu’aux étangs en bas de chez nous
Hanté de passés qui ne sont pas les miens
Inquiets de futurs qui ne sont pas encore
En nul temps nulle part
Je pourrais me contenter de ruminer en attendant la fin
le soulagement d’une dernière pensée
les premières pages du Traité des Principes de l’insondable Platonicien de Damas
Soupesant l’ineffable par excès
et l’ineffable par défaut
(et tout ce qui, entre les deux, péniblement
s’efforce à l’être
la procession la manence et la conversion
la conversion la manence et la procession
l’être la vie la pensée
l’interminable danse des dieux
subjuguant les êtres sublunaires que paraît-il
nous sommes)
Avant de partir en exil à la cour du roi de Perse à Ctésiphon
mais il paraît qu’on n’y trouve qu’astrologues et diseurs de bonne fortune
ou de mauvaise
j’en serais déçu.
II
Mes racines ne sont plus qu’au ciel
comme aurait dit le Président Schreber
c’est assez malcommode dois-je admettre
J’aurais bien aimé avoir
je ne sais quoi (j’ose à peine le dire)
un pays d’enfance dont me souvenir
avec tendresse ou avec colère
Le pays d’enfance des autres
quand ils le racontent
me plonge aussitôt dans les larmes.
L’homme est cet être étrange assurément
capable de souffrir de ce qu’il n’a pas vécu
de ce qui n’a pas été
de ce qui aurait pu être
de ce qui aurait dû être
de ce qui ne sera jamais.
J’ai bien essayé
en bricolant avec les histoires des autres
de me creuser des origines
de me forger un destin
Mais je crois que je suis devenu trop sobre pour y croire
Il faudrait donc que je me remette à boire,
mais j’en mourrais paraît-il.