À la tombée du soir avec les chiens

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Vingt heures trente et les températures se décident enfin à descendre un peu. On est à la fin août, la nuit tombera vite : je prends un sac à dos à moitié vide (mais, un pull, deux gourdes remplies d’eau fraîche, une gamelle pour les chiens, un couteau : on ne sait jamais !), chausse les godasses de marche qui ont bien souffert l’hiver dernier, les deux chiens grimpent dans l’auto, et c ‘est parti pour une balade au fond des bois.

Je règle l’autoradio pour qu’il diffuse en boucle ma chanson préférée quand je vais randonner avec les chiens, Ripple Water Shine de Piano Become the Teeth, et c’est parti pour une virée à quarante à l’heure, plein phares et vitres grandes ouvertes, Capou s’est installé sur mes genoux, les pattes sur le volant, et Iris pointe son museau par la fenêtre. Au village du Ché, on emprunte le grand chemin caillouteux, et dix minutes après avoir quitté la maison, nous voilà déjà au cœur de la forêt.

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Les chiens connaissent la forêt sur le bout du museau, et bondissent déjà pour rendre hommage aux lieux qui le méritent. On décide après un bref conciliabule de suivre la piste qui descend vers Albepierre, d’abord à couvert des sapins, puis en lisière de forêt, avec vue sur les crêtes, Peyre ours, la Sagne du porc, le cirque de Chamalières et, plus au sud, le Plomb du Cantal, tout frissonnant de lumières irisées au soleil couchant.

À la hauteur du lac des biches, en vérité un petit étang dissimulé dans la broussaille, nos naviguons entre chien et loup – j’aimerais voir un loup soit dit en passant, mais je dois me contenter des chiens. Les ombres fuyantes de grands ongulés filent à travers les taillis. Un astre aux trois quart plein, belle comme une lune d’Arno Schmidt, éclaire déjà nos pas.

P8150023Capou me colle aux chaussures, tandis qu’Iris vaque ici et là, disparaissant dans un fourré à droite, surgissant plus loin d’une une souche d’arbre à gauche. Nous sommes parfaitement seuls exceptés les animaux qui ne se laissent pas deviner – mais assurément nous observent. En remontant par la piste des biches, montée longue et rude, l’obscurité s’épaissit alors que la lune joue à cache cache avec le sommet des sapins. On fait une pause au milieu de l’ascension : biscuits arrosés d’eau fraîche pour tout le monde. le moment préféré des cabots, à égalité avec tous les autres moments probablement. J’envie leur propension à apprécier chaque instant, à ne se soucier ni du lendemain ni la veille. Mais à vrai dire, mes propres soucis s’effacent au fur et à mesure que la nuit nous enveloppe.

Ha ! Il n’est rien de meilleur, mais vraiment absolument rien, que de marcher d’un pas tranquille avec les chiens dans la douce nuit d’une fin d’été – sinon skier doucement avec les chiens au petit matin quand la neige a tout recouvert la nuit précédente. Je mesure la chance incroyable que j’ai. Je sais d’où je viens. Une petite fenêtre en moi demeure, qui n’offre pour tout paysage que des longées d’immeubles d’un gris sinistre. Je sais d’où je viens : cet unique sapin en guise de forêt, malade d’être seul au milieu des parkings. Je sais d’où je viens : la promiscuité des habitats partagés, la sale propreté des villes, toujours sales même quand elles sont propres, les corps toujours pressés, contenus, contraints. Ici, dans ces forêts, tout est libéré, dans une continuité d’extases apaisées.

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