Un coup d’état

Je me suis réveillé d’une très brève sieste en proie à un rêve étrange, le genre de rêve dont je suis coutumier, un rêve sans image, disons un rêve d’idées, de pensées quasi-abstraites (parfois, je rêve un texte en train de s’écrire, je vois les mots, les lignes, les pages se remplir).

S’était produit un coup d’état. Les masses rassemblées dans la rue manifestaient leur colère, mais, comme il arrive parfois,  la police avait pris leur parti, l’armée suivait la police et soutenait le peuple, et le gouvernement n’avait pas eu d’autre choix que de s’effacer. Sauf que, et c’était là le caractère étrange de ce rêve, personne, après ce renversement, ne s’était empressé de pendre le pouvoir, lequel était demeuré vacant. Non par paresse ou par lâcheté, pas du tout. Non parce qu’une épidémie d’affaiblissement de toute ambition se soit répandue dans la population. Il s’avérait simplement que personne n’en avait éprouvé le désir. Du pouvoir, aucun ne voulait. On aurait tendance à croire que le plus grand chaos s’ensuivit. Mais pas du tout. Tout à fait comme dans la ville que Saramago imagine dans son hilarante utopie politique La Lucidité, les choses suivaient leur cours, paisiblement, chacun vaquait à ses affaires sans se soucier d’obéir à un autre, de se donner un chef, un représentant, une autorité. Bien évidemment, la solidarité et l’hospitalité étaient devenues soudainement non pas tant des valeurs morales que des conduites naturelles, spontanées, sans qu’il y ait besoin d’une philosophie ou d’une religion pour les imposer à l’esprit. Quelque chose ressemblant au communisme achevé s’était imposé absolument partout, mais sans qu’il ait été nécessaire d’en imprimer le mode d’emploi, d’en faire la propagande ou d’éduquer qui que ce soit. Chacun donnait un coup de main quand le besoin s’en faisait sentir, et, comme le fait remarquer d’ailleurs Saramago, les trottoirs n’avaient jamais été aussi propres. À la violence, sourde ou manifeste, qui jusqu’alors donnait le ton des relations entre les hommes avait succédé une forme de bienveillance discrète et mutuelle, une confiance jamais atteinte, si bien qu’on n’imaginait même plus retourner à l’époque antérieure.

Plus tard, dans la soirée, avant de promener les chiens, j’ai regardé le dernier épisode de Mr Robot (S04E04 : Not Found), qui est très réussi. Je me disais (pensant tout à la fois à Elliot et à moi), comment survivons-nous à nos rêves ? Ou, pour le dire autrement, comment tolérons-nous ces vies de merde ? (C’est un nous à géométrie, ou à sociologie, variable évidemment, mais on se comprend Elliot et moi n’est-ce pas ?)