Dérèglement climatique et politiques migratoires

Et un petit moment de realpolitik et de pessimisme prophétique désespérant pour finir ce week-end.
Si vous avez quelque espérance, épargnez-vous la lecture de ce message (ou alors dites-vous que c’est encore une manifestation de mon esprit dérangé, de mon radicalisme cynique etc..)
 
Donc.
J’ai entendu dire que “le gouvernement français envisageait de remettre la question migratoire au centre des débats” prochainement (je me fous éperdument du gouvernement français – ce qui m’intéresse c’est ce qu’on peut penser de ce choix). On lit le plus souvent que c’est une stratégie électorale pour occuper le terrain habituellement accaparé par la droite, ou un moyen commode de détourner l’attention des masses des saloperies qui vont leur tomber sur le gueule prochainement. C’est sûrement vrai.
 
Mais il y a peut-être autre chose. Je lis régulièrement depuis une bonne décennie les rapports qui sortent sur le changement climatique, rapports produits par les scientifiques de tous horizons, mais aussi les ONG, mais aussi, et on ne pense pas souvent à les lire, par les institutions gouvernementales. Au ministère de la Défense, un observatoire géopolitique des enjeux du changement climatique, animé par une équipe de chercheurs fort compétents, publie régulièrement des études, souvent “régionales”, qui sont très intéressantes. En quoi le ministère de la défense est-il concerné par le dérèglement climatique, ou plutôt par ses effets ? Citons l’exergue de la page web qui présente ces travaux :
 
“Les défis des changements climatiques et leurs conséquences sont considérables. Ils affectent d’une façon ou d’une autre la sécurité humaine. Les changements climatiques à eux seuls ne sont pas directement responsables du déclenchement d’un conflit, mais contribuent à aggraver la situation économique, sociale, politique et militaire dans certains pays en favorisant l’apparition de crises internes, elles-mêmes susceptibles de déboucher sur des crises régionales et internationales.”
 
Ces effets du dérèglement climatique sont maintenant assez bien cernés : la tension autour de la gestion de l’eau, les crises alimentaires dues ,à la fois aux sécheresses récurrentes et à l’appauvrissement des sols, l’insécurité énergétique, l’habitabilité de manière générale, ou, plutôt l’in-habitabilité, de nombre de territoires en générale déjà surpeuplés, entraînant des migrations massives d’une région à une autre, par exemple des zones rurales vers des métropoles déjà fortement sollicitées, trop pauvres en emploi et en ressources pour accueillir de nouvelles populations (et éventuellement menacées elles-mêmes par la montée des eaux etc..). La crainte qui revient souvent, c’est l’instrumentalisation par des “groupes terroristes” (j’emploie ici la langue d’un des rapports), qui se tourneraient vers les pays occidentaux considérés comme “responsables de la situation des pays du sud” – ben oui, effectivement, hein.. C’est pas non plus qu’ils auraient tort, ces futurs terroristes climatiques, sur le fond, n’est-ce pas ?
 
Bref. Contrairement à ce que j’entends parfois, les gouvernants sont tout à fait au courant de la gravité de la situation. Ce pourquoi ils se préparent à ses effets les plus désastreux. Par exemple, même si le scénario d’une migration climatique massive vers les pays tempérés n’est encore envisagé qu’avec prudence (on privilégie plutôt les déplacements “régionaux”, internes ou transfrontaliers – ce qui va déjà faire pas mal de dégâts), il y a une “CERTAINE” LOGIQUE à remettre dès maintenant sur le tapis la “QUESTION MIGRATOIRE”. Et ce d’autant plus qu’aucun gouvernement ou presque ne semble décidé à agir sur les “causes” du changement climatique – sachant pertinemment qu’il faudrait, pour espérer limiter l’ampleur des changements à venir, ou même simplement ralentir les processus en cours, inviter la totalité de la population mondiale à renoncer à son mode de vie (à l’occidentale), c’est-à-dire en finir avec le capitalisme. On ne voit pas très bien comment s’y prendre n’est-ce pas (à l’échelle d’un petit village Ardéchois, c’est déjà pas si évident, alors à l’échelle du monde, comment dire…). Quand à demander aux gouvernants actuels de se détourner du capitalisme alors que 90% d’entre eux sont précisément des élus pour en assurer la pérennité et garantir les revenus des plus fortunes (c’est là leur mission première, le reste, c’est du tricot), c’est comme demander au pape de militer pour la PMA pour les couples trans (désolé).
 
Bref, si on abandonne l’idée d’agir sur les causes et qu’on se contente de promouvoir des “solutions d’adaptation” aux changements à venir les plus indolores possibles pour le business (solutions dont il doit être clair qu’elles ne s’adresseront qu’à une partie minoritaire de la population mondiale, précisément celle qui vit dans les pays riches et tempérés, et même, probablement, au sein de ces pays riches et tempérés, aux plus aisés des habitants), si donc on continue sur cette lancée en sacrifiant ni plus ni moins la plupart des habitants des pays pauvres (qui sont grosso modo les pays du sud) – je dis bien en les “sacrifiant” sur l’autel de notre salut (parce que c’est exactement ce que font déjà les pays riches, exploitant sans vergogne les ressources du sud en rendant peu à peu ces territoires inhabitables (pour le dire très rapidement, nous ne faisons rien d’autre que sauver notre peau au détriment de tous les autres), il est bien évident alors que le complément indispensable des politiques menées actuellement, c’est de renforcer la défense et la sécurité nationale, et de prévenir les éventuels afflux de migrants “de demain” (que le climat soit directement ou indirectement responsables de la migration).
 
J’imagine donc assez facilement qu’au-delà de ces magouilles politiciennes, le gouvernement, en replaçant la “question migratoire” au “centre des débats”, fait d’une pierre deux coups : il prépare également une réponse aux effets probables du dérèglement climatique.
 
On notera que cette réponse n’aura probablement pas grand chose à voir avec les idéaux cosmopolitiques d’hospitalité et de solidarité dont j’aime à rappeler, avant qu’il ne soit trop tard et qu’on les oublie tout à, fait, qu’ils ont animé et animent encore quelques cultures en ce bas-monde, et quelques philosophies. Pour ceux qui ont la mémoire courte, je rappellerai quand même que la phrase : «Il y a, en effet, dans le monde trop de drames, de pauvreté, de famine pour que l’Europe et la France puissent accueillir tous ceux que la misère pousse vers elles» ajoutons qu’il faut «résister à cette poussée constante»” a été prononcée par Michel Rocard, qui n’était pas vraiment de droite (et pas vraiment de gauche non plus d’ailleurs). Cette affirmation qui, sous les apparences du bon sens, a eu beaucoup de succès dans toute la classe politique française depuis l’époque où elle a été prononcée (1989), est non seulement d’une stupidité sans fond, mais contrevient de manière frontale aux idéaux d’hospitalité et de solidarité auxquels, sans doute parce que je suis un indécrottable idéaliste malgré tout, je demeure profondément attaché. Il y a fort à parier qu’on l’entende beaucoup ces prochains mois, et plus encore dans quelques décennies, quand les effets du dérèglement climatique auront rendu nombre de terres inhabitables.