Convergence des intérêts des artistes sous licence libre et des médiathèques
a) l’intérêt juridique : proposer des usages licites
Un catalogue accueillant des enregistrements sous licences libres est délivré de toute ambiguïté juridique : la copie étant autorisée a priori, l’usage qui pourrait être fait de la musique gravée sur ce disque à la sortie de la bibliothèque par l’usager ne fera plus l’objet d’un soupçon. On peut même espérer qu’un disque emprunté dans une médiathèque essaime à partir de là, que la musique circule en aval : c’est là l’intérêt de l’auteur, d’une part, et, d’autre part, une conséquence conforme au principe qui légitime l’existence des médiathèques publiques : faciliter l’accès à la culture pour tous.
b) l’intérêt artistique : garantir la diversité créative
Ces musiques sous licence libre, qui échappent en général au marché du disque, ou n’y pénètrent que par la pointe des pieds, couvrent de facto des aspects de la créativité musicale qui n’ont pas quasiment plus leur place chez les disquaires (réels ou online) : quand les fonds des médiathèques accueillent ces enregistrements méconnus, ils s’enrichissent du même coup et se diversifient. La réduction drastique du nombre de nouveaux artistes signés sur les majors, la compression des catalogues, ne signifie évidemment pas que la création musicale soit en train de se tarir ! Au contraire, elle ne s’est jamais aussi bien portée ! Elle signifie simplement que les actionnaires de ces grandes sociétés réclament leurs dividendes et, sans avoir fait de longues études d’économie, on peut comprendre que les responsables de ces grandes maisons de disques n’aient pas la possibilité de prendre des risques artistiques. Les artistes indépendants des circuits commerciaux n’ont pas ces préoccupations. Ils peuvent donc se permettre de créer des œuvres sans avenir commercial.
c) l’intérêt social : rapprocher les artistes et les mélomanes
Les médiathèques, en tant que service public, ont en quelque sorte vocation à s’intéresser à ces pratiques soi-disant “amateurs” ou “marginales“. Pour la simple et bonne raison que nombre de ces amateurs ou marginaux sont des usagers des médiathèques. La raréfaction des intermédiaires dans le monde des pratiques alternatives de la musique a déjà pour effet de modifier la relation du public aux artistes – j’aime à dire que les labels indépendants ont les auditeurs qu’ils méritent : des mélomanes plutôt que des consommateurs ou des usagers. L’artiste n’est plus cet être d’exception inaccessible et rare, mais peut être éventuellement celui-là que vous croisez dans les rayonnages des bibliothèques. Par extension on peut imaginer que les médiathèques de part leur position privilégiée au coeur de la cité, puissent devenir, non seulement des lieux de circulation et de dissémination de musiques discrètes, mais également de véritables partenaires de la création et des artistes. De multiples initiatives vont déjà en ce sens (je pense à l’intérêt manifesté par la grande médiathèque de Toulouse pour le forum des alternatives pour la musique créé par mes amis du label Unique Records), et il me semble que ces pistes méritent d’être creusées.
Propositions de mise en oeuvre :
1° se rencontrer :
Des rencontres ponctuelles entre les acteurs de la musique sous licence libre et les responsables des médiathèques constitueraient sans doute le meilleur moyen pour imaginer des collaborations fructueuses et concrètes. Le réseau des utilisateurs de licences libres se développe : les micro-labels, les associations d’artistes ou de mélomanes, les webzines, sont de plus en plus nombreux. Cette dynamique à la fois locale et nationale compense le manque de moyens de promotion.
2°signaler et informer :
L’instauration d’une signalétique informant les usagers de leurs droits sur les œuvres qu’ils empruntent a fait l’objet de nombreuses discussions sur le forum de musique-libre.org.
Pour les disques sous licence de libre diffusion, on peut imaginer un sticker Creative Commons ou Licence de libre diffusion collé sur les disques concernés, et/ou un panneau à l’entrée des salles de consultation précisant les usages permis et limités par ces licences (et , en regard, par le copyright strict). On pourrait aussi se contenter d’introduire dans les outils de recherche un critère “licence de libre diffusion”.
Certains préconisent un bac réservé aux disques issus de labels indépendants et sous licence libre. D’autres ne sont pas favorables à cette idée considérant que ce qui importe c’est la musique, et non pas sa spécificité juridique. Créer un “genre” musical déterminé par une licence serait absurde. Une licence est un outil, et ne dit rien de la valeur esthétique d’une œuvre.
D’une manière générale, le flou actuel de la licité des usages de la musique enregistrée nécessite probablement qu’une certaine pédagogie soit dispensée auprès des usagers, les informant de leurs droits et leurs devoirs : les enregistrements sous licence de libre diffusion doivent faire dans ce cadre l’objet d’une information spécifique.
Dans le cas des disques sous copyright ou protégés par des dispositifs anti-copies, je laisse le soin aux industriels du divertissement d’imaginer les voies pédagogiques qui semblent les mieux adaptées.
3° les médiathèques et internet :
De nombreux enregistrements d’artistes indépendants ne font plus l’objet aujourd’hui d’une gravure sur un support solide, mais sont simplement diffusés sur internet sous forme de fichiers numérisés. Les médiathèques devraient-elles d’adapter à cette réalité, et proposer un catalogue numérisé, et pas seulement des disques ? Ont-elles vocation à proposer des services en ligne, à l’image des plates formes de téléchargements qui se développent sur internet ? Mais ne risquent-elles pas en s’engageant dans cette voie faire simplement double emploi avec les outils existant déjà sur le web ? L’investissement nécessaire en vaut-il la peine ?
La médiathèque n’est-elle pas d’abord un “lieu”, un certain espace au sein de la cité, propice aux découvertes et aux rencontres ? En se dédoublant en quelque sorte, sous la forme d’une entité immatérielle, sur internet, ne risque-elle pas de perdre cette qualité spécifique : la création de liens sociaux autour des œuvres ?
Il existe déjà des outils qui seraient bien adaptés à l’organisation des médiathèques : ainsi la borne de diffusion usb pour les baladeurs numériques et autres cléf usb a déjà été expérimentée dans certains lieux. La burn station qui permet de graver son propre cd est utilisée ponctuellement à l’occasion de manifestations. Par le biais d’une connexion internet, la mise à jour des catalogues pourrait se faire en temps réel et donc permettre un accès quasi instantané à toutes les musiques sous licence libre.
Il n’en reste pas moins que la raréfaction probable des supports tangibles dans les années à venir (disques, cds, vinyls etc…) ainsi que la croissance des connexions haut débit, met en question la nature même de l’offre des médiathèques. (Il ne faudrait pas que les bacs des salles de consultation deviennent à terme des “musées” pour nostalgiques du support tangibles).
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