Peut-on écrire sa propre histoire, la projeter devant soi pour espérer en deviner la signification ? La mettre en récit pour ordonner son chaos ? La soupeser pour en délivrer le jugement définitif ? Se répéter indéfiniment son enfance, la violence d’un père, le déclassement social, la misère psychologique, pour en conjurer le sort, comme ces histoires que les enfants aiment écouter cent fois, les rassurant ? On n’a jamais vu quiconque réchapper d’un trou noir. On ne se débarrasse jamais de son passé. En parler, c’est convoquer un absent. Et lancer finalement des accusations contre le néant. L’écriture de ce récit est pourtant portée par cette absurdité : en réchapper, malgré soi. Alors, inlassablement, les mots sarclent, tentent de désécrire ce qui s’écrit, si vite que la phrase se met à courir. Car il en faut du souffle pour tout effacer. Dans l’espoir que tout s’enraie, que le passé s’entrave. Pour s’enterrer plus loin dans une parole, en sorte de forer le passé lui-même et y disparaître ou renaître, ce sera selon, mais créer un centre où habiter durablement.
Il y a des textes que l’on ne reconnaît pas, parce qu’il faut inventer pour en saisir l’exacte figure. Ce qui nous est donné à lire ici, il faut encore le conquérir. Avec la vue bouchée sans doute, l’oeil au beurre noir, parce que chaque mot excavé, imparable comme un coup de poing nous décape, nous corrode, nous démantèle, mais pour finir nous éperonne et nous gonfle de vie. Daya Lemael
Lisez les 3 premières pages du livre en cliquant ici.
Critiques
David était l’ Auteur du mois en octobre 2020 sur le site litzic.fr, retrouvez tous les articles ou entretiens qui lui ont été consacrés en cliquant ici et en suivant les liens de bas de page.
La critique de Cellules sur le site Litzic est à lire ici.
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Sur RadioActiv’ l’émission Bande Originale de Livres du 05/10/2020 était consacrée à ses livres, vous pouvez l’écouter ici
Sur RadioActiv’ l’émission Bande Originale de Livres du 07/10/2020 proposait un entretien avec David Fonseca à écouter ici
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Le site lelitteraire.com, propose un entretien avec David Fonseca à retrouver ici et un article à propos de Faillir à lire ici
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Article à propos des deux romans de David sur le blog de l’art helvétique contemporain à lire ici
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Passée une première perplexité en attaquant la lecture de Cellules, j’ai eu l’impression de marcher sur des débris de verre. Comme si le texte au départ soigneusement écrit avait été projeté rageusement au sol et que l’auteur ait ramassé les morceaux brisés pour tenter un replacement impossible, parvenant ainsi à une mosaïque constellée de petits bords coupants où il n’est pas facile de retrouver les images du départ, mais qui donne une nouvelle œuvre originale et plutôt fascinante dans cet exposé sans concession de ce que peut être la violence d’un père et ses conséquences, (pour moi le sujet central du livre).
J’ai laissé venir les phrases telles qu’elles ont dû être écrites, en vérité, renonçant parfois à déceler un sens immédiat à certaines formulations mystérieuses, acceptant de cheminer dans une pénombre faite d’angoisse, d’inquiétude, en attente de possibles déflagrations qui surviennent inexorablement au détour d’un paragraphe, aggravant chaque fois l’atmosphère délétère qui imprègne cette famille.
Autre image qui m’est venue à cette lecture, c’est le parallèle que j’ai fait avec le labyrinthe de la Dent de Crolles (Grande Chartreuse) dans le réseau du Guiers Mort que j’ai exploré et topographié en tant que spéléologue. Lire Cellules s’apparentait à se retrouver dans le froid humide (4°C) et l’obscurité souterraine (souvent menaçante à cause de la présence de l’eau et de ses variations) trouée par une frontale qui donne à voir des pans de roches, des sols et des voûtes, des ténèbres à peine dissipées par la lumière mobile, fluctuante, mais qui cependant permettait de se faire une idée du lieu (ici de la personne) une idée parcellaire, complexe, intrigante mais aussi forte, résistante, vivante envers et contre tout ce qui pouvait la détruire. Obstinée. Comme ce réseau où l’eau et la pente font leur loi.
Je n’ai pu aussi m’empêcher d’établir la comparaison entre l’enfance d’Henri l’orphelin (cf Un Orpheul’ Christophe Havot – az’art atelier éditions) telle que vous l’avez décrite et celle de David Fonseca, telle qu’il nous la livre dans toute sa violence brute. Violence qui a trouvé dans ma mémoire des échos de situations ressemblantes dont j’ai pu avoir connaissance chez un proche (manquer tuer son père qui buvait et brutaliser sa famille) et qui prouve, s’il en était besoin que la violence parentale n’est pas rare.
Pas évident aussi de capter dans ce texte toutes les références littéraires non explicites. David Fonseca a manifestement beaucoup lu et son écriture est imprégnée de beaucoup d’autres, pas toujours identifiables, mais qui donnent à ses propres mots une épaisseur et une force peu communes.
La lecture de cette autobiographie impitoyable et lucide serait probablement profitable à bien des enseignants, tant parfois le type d’élève que David a dû être est difficile à supporter, lecture qui pourrait donner un peu de réflexion et de compréhension. Même si on ne dispose que de sa version des faits, on ne peut qu’être touché par ce qu’il révèle de lui-même, de cet enfermement personnel, de cette rage destructrice, de sa clairvoyance envers ses lâchetés et du courage qu’il a dû lui falloir pour tracer ces lignes.
Ce n’est pas un roman, ce n’est pas non plus apparenté à la diatribe haletante comme dans Un débarras. Ces paragraphes enchaînés sont plutôt le résultat de plusieurs éruptions volcaniques, avec tout l’éventail des dégâts possibles, des bombes, des cendres brûlantes, des coulées pyroclastiques, de la lave surchauffée qui s’écoule, impossible de l’arrêter, de mettre un barrage, elle brûle tout sur son passage. Puis se solidifie, se pétrifie.
(…)
Puis une sorte de miracle se produit, avec un accès inespéré à presque une vie « normale » avec beaucoup plus de guillemets que je n’en mets, femme, enfants, maison, et provoque à la lecture un véritable soulagement. Il m’a rappelé une remarque faite par une vieille amie il y a quelques années : dans une famille, une naissance est toujours quelque chose d’extraordinaire. Comme elle avait eu quatre enfants, j’avais pris cela avec un peu d’étonnement. C’est pourtant bien ce qu’il se passe pour David Fonseca, c’est tout à fait extraordinaire. Cependant le finale, les tentatives à l’évidence inutiles de rapprochement avec le père (je ne peux m’empêcher de penser qu’il aurait dû fuir le plus tôt possible, et sans retour, comme font la plupart des gens en conflit avec leur famille mais dans son cas, précisément, ce qui se passait en terme de règne de la terreur rendait même la fuite impossible) ajouté à tout ce mal-être physique et mental qui n’a en rien disparu, n’est pas dans le plus pur optimisme.
En conclusion, une lecture difficile, prenante, impossible à abandonner, qui provoque parfois de la répulsion, et qui laisse un sentiment final où se mêle beaucoup de tristesse mais aussi un espoir de rédemption par le miracle de l’écriture.
Sylvie Aubriot (France)