Et puis, la catastrophe nous est tombée dessus. La fin du monde. Je n’en savais rien. Je n’y pensais jamais. Je n’y croyais pas vraiment. Contrairement à lui. Nous nous sommes réfugiés ici. Comme il l’avait prévu. Mais ce qu’il n’avait pas prévu, c’est, disons : la vie quotidienne, l’ennui, la frustration qui s’accumule. Je me suis laissée embarquer là-dedans, je ne pensais pas que ça durerait vraiment. J’avais tort.
Quelques mots de l'auteur
Deux textes pour le théâtre, composés cet automne (2024) : Marielle et la fin du monde et Stupeur. Ce qui m’intéresse, pour le dire rapidement, c’est la manière dont les sociétés contemporaines s’organisent autour d’une menace latente ou avérée, et comment les relations sociales en sont affectées. L’arrière-plan des situations dans lesquelles sont plongés les personnages pourrait être qualifié de « pré-apocalyptique ». Il règne une ambiance de « fin du monde probable » dans laquelle on se débat comme on peut, où les subjectivités se font et se défont, s’épuisent et se réinventent.
Extrait de Marielle et la fin du monde
Le Fils. Évidemment. Comment pourrait-il en être autrement ? À peine je vous ai vue, descendant de l’hélicoptère, mon petit cœur de mâle en manque d’amour s’est mis à battre la chamade. Ma vue s’est brouillée comme j’ajustais mes jumelles. Pire que ça : avant même que vous ayez débarqué sur la piste d’atterrissage, et, à vrai dire, dès que mon père a émis l’idée d’aller extraire une créature dans le cheptel disponible là, dehors, j’étais déjà amoureux. Excusez-moi de parler ainsi, vous devez me prendre pour un monstre. Je suis un monstre. Vous êtes tombée dans un repaire de monstres. Pour le dire plus brutalement encore, n’importe qui d’autre que vous, du moment qu’elle ait été un peu jolie, et même infiniment moins belle que vous l’êtes, n’importe laquelle, j’en serais tombé raide dingue. Sans même avoir pris le temps d’entendre le son de sa voix, de sentir le parfum de ses cheveux, de m’être penché sur son visage, ses lèvres, sa nuque, sans avoir même plongé mon regard dans ses yeux. C’était couru d’avance. Marielle. Si c’en est une, et je n’en suis pas sûre, c’est la déclaration d’amour la plus étrange que j’ai jamais entendue.
Extrait de Stupeur
Écho. Tigre du Bengale, Panthera tigris tigris. Un couple a été introduit dans le parc en mars dernier. Ces animaux proviennent du zoo de New Delhi. Jusqu’à 1 mètre 10 au garrot et 250 kilos pour les mâles. Les femelles sont plus petites. Markus. Ah oui, quand même. Sacré bestiau. Je n’aimerais pas me retrouver face à face avec eux. Nythia. Celui-ci semble parfaitement éveillé. Il nous regarde. Markus. Ou bien il nous guette. Il attend que l’engin se crashe dans les marécages. Il se lèche les babines à l’avance. Nythia. Ces oiseaux au plumage multicolore. Et regardez juste au-dessus de nous, sous la canopée. Des singes. Ils sont adorables. Ils nous observent eux aussi. On se croirait vraiment dans une jungle tropicale. C’est un peu surréel. Mais c’est un beau spectacle à contempler avant de mourir. Markus. Les animaux ne s’endorment pas en tous cas. Il ne restera à la fin que des bêtes et des androïdes. C’était écrit.
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