Construire une Zoopolitique (extrait de Zoopolis, A Political Theory of Animal Rights)
Un extrait de la conclusion générale du remarquable livre de Sue Donaldson et Will Kymlicka, Zoopolis, A Political Theory of Animal Rights, Oxford University Press 2011-2013. (traduction par mes soins)
« Nous espérons que ce livre contribue à cette tâche [développer une nouveau modèle conceptuel susceptible de favoriser l’émergence de visions alternatives des relations humains/animaux], en offrant à la fois une vision à long terme, et des stratégies à court terme. Dans la perspective d’une vision à long terme, notre approche offre une image plus positive du futur des relations homme/animaux que celle proposée par la théorie traditionnelle des droits des animaux [ART : Animal Rights Theory]. Pour rappel, l’ART a d’abord mis l’accent sur un ensemble d’interdits négatifs — qui consistent à ne pas tuer, utiliser ou enfermer les animaux. Suivant cette logique, ART a adopté une conception rigide et simpliste des relations homme/animaux — on devrait faire disparaître les animaux domestiques, et les animaux sauvages devraient être laissés seuls. En bref, il ne devrait plus y avoir de relations homme/animaux du tout. Nous avons démontré que cette vision est non seulement vouée à l’échec — les humains et les animaux ne peuvent être coupés les uns des autres dans des environnements distincts et hermétiquement clos — mais également un handicap politique (politique liability).
La plupart des humains ont commencé à comprendre et prendre soin des animaux en entretenant des relations avec eux — en les observant, en se promenant avec eux, en s’inquiétant pour eux, en les aimant et en étant aimés par eux. Les humains qui se sentent le plus concernés par le destin des animaux sont typiquement ceux qui sont impliqués dans des relations avec eux, à titre de compagnons ou de collaborateurs dans le travail, ou bien parce qu’ils s’adonnent à l’observation de la vie sauvage, ou parce qu’ils exercent le métier de conservateurs ou de restaurateurs des systèmes écologiques [on dirait en français : parce qu’ils sont des protecteurs de la nature]. Dépasser l’impasse politique requiert qu’on s’appuie sur leur énergie et leurs motivations. Alors même que le message implicite de l’ART est qu’on ne peut pas faire confiance aux humains pour nouer des relations avec les animaux. Nous serions inévitablement condamnés à les exploiter et à leur nuire, et c’est pourquoi nous devons nous séparer d’eux. Ce n’est pas le genre de message qui poussera les amoureux des animaux à lutter pour la justice animale.
Plutôt que de couper court aux relations entre humains et animaux, notre vision à long terme vise plutôt à explorer et embrasser les pleines possibilités de telles relations. Ce projet implique de reconnaître les animaux non pas seulement comme des sujets individuels ayant droit au respect de leurs droits fondamentaux, mais aussi comme des membres de plusieurs communautés — à la fois les nôtres et les leurs — dont la trame est constituée par des liens d’interdépendance, de réciprocité, et de responsabilité. Cette vision est beaucoup plus exigeante que la position ART classique selon laquelle notre obligation vis-à-vis des animaux consiste simplement à les laisser être. Mais c’est également une vision infiniment plus positive et créative — on pourra alors reconnaître que ces relations peuvent relever de la compassion, de la justice, du bonheur, et mutuellement enrichissantes. Toute théorie inspirée de l’ART requiert que les humains abandonnent les biens mal-acquis tirés de l’exploitation et la colonisation des animaux. Mais une théorie du droits des animaux politiquement viable ne se contentera pas d’identifier les sacrifices que la justice requiert de notre part, mais aussi les relations nouvelles et enrichissantes que cette justice rend possible.
Et ceci, à son tour, a des implications pour une stratégie à court terme. Si notre objectif à long terme ne consiste pas seulement à abolir l’exploitation, mais aussi à bâtir de nouvelles relations de justice, alors même la perspective à court terme n’est pas aussi lugubre qu’il y paraissait au premier abord. L’exploitation et de la colonisation des animaux augmente de manière globale et prend des proportions gigantesques, mais il existe également d’innombrables expériences partout dans le monde par lesquelles les humains essaient d’explorer de nouvelles voies pour se rapporter aux animaux. (…) »
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