Jean-Marc Moriceau, Histoire du Méchant Loup

je cite ci-dessous un extrait de l’excellent compte-rendu que Damien Baldin a fait de cet ouvrage de Jean-Marc Moriceau pour la revue numérique du Centre d’histoire de Sciences Po, Histoire@Politique. Politique, culture, société :

« …l’histoire de Jean-Marc Moriceau est avant tout une histoire rurale, quantitative, bien ancrée dans les structures économiques et sociales mais qui laisse la porte ouverte à des analyses plus sensibles au ressenti des populations et à leur environnement matériel, sensoriel et affectif. On sent néanmoins l’auteur rétif à se lancer dans des analyses qui relèveraient plus de l’anthropologie historique. S’il s’attarde ainsi avec une précision clinique sur les corps mutilés et déchiquetés et insiste souvent sur la peur et sa mémoire, les clés de lecture restent minces et, bizarrement, l’auteur en tire surtout des conclusions plutôt éthologiques, dans une perspective de zoohistoire. Pourtant cet « examen clinique » (p. 370) aurait pu être lu en rappelant combien ces attaques représentent des transgressions anthropologiques et culturelles inouïes : démembrement du corps, consommation de chair humaine parfois même vivante, renversement de la supériorité de l’homme sur les animaux. Une analyse plus anthropologique permettrait ainsi de mieux comprendre comment « en voyant disparaître sous leurs yeux un petit frère, une petite sœur, un petit ami ou un jeune voisin, les témoins qui survivaient à l’événement avaient bien des chances d’en transmettre la mémoire très loin dans le temps et dans l’espace » (p. 87) et d’expliquer un traumatisme dont l’importance dans les sociétés rurales dépasse largement le simple nombre des attaques. Plus loin encore, elle pourrait aussi expliquer pourquoi le discours sur le loup anthropophage est difficilement audible dans nos sociétés contemporaines où les seuils de tolérance à la violence et aux animaux sauvages sont inversement proportionnels.

Enfin, il faut absolument rappeler que l’Histoire du méchant loup est exemplaire d’une histoire encore balbutiante des relations hommes-animaux. Devant un sujet pollué par trop d’anachronismes, d’éthique animale et de dérivés éthologiques, l’historien avance ici avec prudence et délivre un programme qu’il serait sain de suivre : « dresser un bilan des travaux existants », décrire avec la plus grande précision possible les relations entre les hommes et les animaux – et ici une histoire quantitative avec des sources de première main est un grand atout – et enfin montrer et faire comprendre que les animaux sont « un révélateur du fonctionnement des sociétés humaines » (p. 17). »