(ne pas) Tuer les animaux : quelques paradoxes
Le militant de la cause animale Jonathan S. Foer (auteur du remarquable roman Extrêmement fort et incroyablement près) s’expliquait dans une interview donnée aux Inrockuptibles au sujet de son essai Faut-il manger les animaux ? :
« Je n’aime pas particulièrement les animaux à part mon chien, je n’ai pas de passion particulière pour les poulets ou les vaches mais il y a certaines choses qu’on ne doit pas leur faire. Si vous prenez une centaine de personnes en France, tous horizons confondus, et que vous leur demandez si ça leur paraît bien de manger de la viande, 98% vont répondre oui. Maintenant, demandez à ces mêmes personnes si c’est bien de garder une truie enceinte dans une cage si petite qu’elle ne peut même pas se retourner pour accoucher : 98% vous répondront non. Ce qu’il faut, c’est poser les bonnes questions. Des questions pragmatiques, pas philosophiques. » (Les Inrockuptibles)
Dans la plupart des pays occidentaux, tuer les animaux ne va plus de soi. Les mouvements politiques qui défendent la cause des animaux rencontrent une sympathie croissante à la mesure du dégoût que suscitent dans la population l’abattage des animaux d’élevage, les actes de chasse envers les animaux sauvages et l’exploitation des animaux-cobayes de laboratoire. Cette sensibilité à l’égard de la souffrance des animaux va de pair avec les attentions sophistiquées que nombre d’humains réservent à leurs animaux de compagnie, la France par exemple en comptant plus de 60 millions. Un sondage réalisé avant les élections présidentielles de 2012 indiquait que 82% des français considérait la protection des animaux comme une cause importante. Cette évolution de la sensibilité humaine vis-à-vis des animaux repose sur un certain nombre de facteurs qu’on trouvera dans la littérature sociologique consacrée à ce sujet (voir notamment, pour une synthèse, le volume de Jean-Pierre Digard, Les Français et leurs animaux, Paris, Fayard, 1999).
Cette bienveillance croissante à l’égard des animaux s’affirme néanmoins de manière paradoxale. Le plus connu de ces paradoxes est l’augmentation régulière de la consommation de produits animaux — nous sommes choqués par le fait de tuer des animaux, mais nos comportements alimentaires impliquent l’abattage massif de ceux-là même que nous affirmons par ailleurs respecter. Je parlerai plus tard du cas particulier des végétariens, mais, pour la grande majorité de la population, tout se passe comme si notre sentiment (plus ou moins élaboré intellectuellement) était déconnecté de notre pratique — nous ne sommes pas à la hauteur de nos discours en quelque sorte. C’est là, me semble-t-il, un trait courant de la moralité sous le régime du capitalisme total dans lequel nous tentons de survivre : le hiatus récurrent entre nos principes moraux et les critiques qui en découlent sont rarement suivis d’effet car, en permanence, le marché nous appelle à céder à ses sirènes (au rang desquelles les étals de viande toujours fournis dans les supermarchés), et la précarité socio-économique réclame, pour être tolérable, des consolations. Nous mangeons donc toujours plus de viande : j’avais été extrêmement étonné, quand, il y a une vingtaine d’années, travaillant avec une famille très précarisée dont je suivais un des fils dans le cadre d’une action contre l’illettrisme, j’avais constaté que le menu du repas que sa mère nous avait servi était composé exclusivement de viande rouge (aucun légume, pas de fruit non plus). En réponse à mon étonnement, les parents m’avaient expliqué qu’ils mangeaient de la viande deux fois par jour, et un dessert (généralement chocolaté), parce que personne n’aimait les légumes à la maison. Ce comportement alimentaire n’est en rien exceptionnel, il est devenu la norme, de la viande deux fois par jour, même dans les milieux les plus défavorisés — l’absence totale de légumes ou de fruits relevait par contre dans ce cas précis d’une méconnaissance des recommandations alimentaires. Des statistiques relèvent la diminution de consommation de viande depuis une décennie, mais elles sont en réalité trompeuses, car on n’a jamais autant consommé de plats préparés (à base de produits animaux) : il est d’ailleurs frappant à cet égard à quel point le plat que nous mangeons ressemble de moins en moins à l’animal que nous avons tué pour transformer sa viande. Cette remarque n’est pas nouvelle mais cet écart extraordinaire entre l’animal et le contenu de nos assiettes et le fait que pour beaucoup de consommateurs, découper une partie de l’animal, la transformer en aliment propre à la consommation, la préparer selon telle ou telle recette, soient totalement exclus des actes culinaires quotidiens, contribuent à déconnecter la viande que nous consommons et la conception morale de l’animal que nous revendiquons. Ce qui disparaît là, c’est non seulement la mort de l’animal, dont Jocelyne Porcher après d’autres a très bien décrit comment elle est devenue en quelque sorte invisible aux yeux des consommateurs, mais également sa vie. Car, pour bien des gens, l’image qu’on se fait des relations entre les éleveurs et leurs animaux est devenue extrêmement pauvre. La succession des exodes rurales depuis l’après-guerre et le phénomène de déprise agricole, spectaculaire par endroit, ont coupé les générations récentes de l’expérience de l’activité agricole : on se moquait encore dans les années 80 de ces enfants qui n’avaient jamais vu une vache autrement que dessinée sur un emballage de chocolat, mais il est probable qu’aujourd’hui, la connaissance que la plupart des gens ont de la vie des éleveurs et de leurs troupeaux est uniquement livresque, par ouïe-dire et de seconde main — ou, pour le dire autrement, on en sait autant, voire plus, grâce aux documentaires animaliers, sur la vie des animaux sauvages que sur la vie des animaux d’élevage.
Mon voisin, éleveur à la retraite, qui constitue un de mes informateurs privilégiés pour ce qui touche à la vie rurale d’autrefois, me confiait que, jusque dans les années 60, il n’y avait que rarement de la viande à sa table, et que c’était toujours de la viande extraite des animaux qu’on avait élevés à la ferme. Le fameux poulet et le non moins fameux rôti du dimanche, que bien des gens ont connus, ne venaient pas tous les dimanches — c’était selon la richesse du foyer, évidemment, mais dans les fermes pauvres, ce n’était pas tous les dimanches. On élevait et on tuait le cochon, les lapins et la volaille — la plupart des habitants de la ferme savaient comment procéder, ou bien l’avaient vu faire. Leur expérience de la vie et de la mort des animaux était directe, pour ainsi dire. Quand j’étais enfant, dans les années 70, nous allions parfois chez un grand oncle qui avait quelques poules et des lapins, et je me souviens fort bien avoir vu avec horreur une poule décapitée courir dans le jardin. Nous allions régulièrement nourrir les lapins dans les cages disposés à l’arrière cour de la maison de ma grand-mère. Le savoir de l’éleveur, un savoir commun autrefois, était l’apanage de mes grands-parents, pas de mes parents. Et dans la cité HLM où nous habitions, nul animal, exceptés les animaux de compagnie, n’était visible.
Savoir comment tuer un animal s’inscrivait autrefois dans un ensemble de connaissances et de compétences : on tuait l’animal qu’on avait élevé, qu’on avait vu grandir, avec lequel des relations s’étaient établies, pour le meilleur et pour le pire. Ce savoir relationnel était plus ou moins personnalisé, donnait lieu parfois à des manifestations affectives, voire des attachements électifs — on appelait telle vache par un prénom, et je connais encore de petites fermes où chaque animal est ainsi nommé. Il est difficile de déterminer dans quelle mesure on prenait soin de l’animal, quel genre de considération on avait pour lui : dans la littérature de terroir ou les témoignages des paysans, il n’est pas rare de lire des pages dans lesquelles s’expriment un véritable amour envers les bêtes qu’on élève, et l’espoir d’une réciprocité des sentiments. On est évidemment loin des considérations zootechniques dans lesquels les éleveurs sont baignés dans les écoles d’agriculture depuis la fin du XIXè siècle. D’une certaine manière le paradoxe des consommateurs de viande malgré tout soucieux d’une forme de respect envers les animaux fait écho au paradoxe des éleveurs, qui vivent auprès des bêtes, partagent des expériences et un ethos commun, et sont pourtant incités par les experts et les économistes à les considérer comme une matière première à transformer en vue d’en tirer profit.
La solution proposée par les militants pour la défense de la cause animale, au nom du refus de l’exploitation et du meurtre des animaux, est bien connue : il faut devenir végétarien, refuser de consommer des produits animaux et mettre fin à toute forme d’élevage. La logique est imparable, et le paradoxe tout aussi flagrant. Comme de nombreux auteurs l’ont souligné (Jocelyne Porcher, ou, plus récemment, Sue Donaldson et Will Kymlicka dans leur remarquable ouvrage, Zoopolis), la fin de l’élevage signifie également la disparition des animaux que les hommes élèvent. Un militant Vegan avec qui je discutais de ce point considérait sans sourciller qu’il n’y avait là aucun problème : il suffisait de stériliser les animaux d’élevage, vaches, cochons, volailles etc., et de les relâcher (les « libérer ») dans la « nature » — et quant aux paysans, qui apprécieront, ils n’avaient qu’à chercher un autre emploi. Je soupçonne beaucoup de militants, bien qu’animés des meilleures intentions du monde, d’être en réalité tout à fait ignorants de ce qu’est une vache ou un cochon, de posséder une conception de la « nature » parfaitement imaginaire, et de n’avoir qu’une connaissance abstraite de nos campagnes et de ceux qui l’habitent, humains et non-humains. Cette logique s’étend d’ailleurs chez la plupart des auteurs (et ça n’est pas le moindre frein à la popularisation de leurs idéaux) au sort réservé aux animaux de compagnie, lesquels, parce qu’ils n’existeraient que pour satisfaire nos besoins affectifs ou nos tendances innées à la domination, relèveraient donc également de la catégorie de l’exploitation, et, partant de là, il faudrait se résoudre à les soustraire à notre influence néfaste. Dans ces deux cas, on aboutit à cette conclusion étrange : respecter les animaux conduit à souhaiter leur extinction. Il n’y aurait d’autre alternative à leur exploitation que leur disparition (excepté certains specimen conservés dans des fermes sanctuaires, dans lesquelles les bêtes évolueraient plus ou moins en liberté).
Comme l’ont longuement souligné les auteurs cités plus haut, dans la logique des défenseurs de la théorie de l’éthique animale, tout se passe comme si le seul comportement moral acceptable envers les animaux consistait à les laisser vivre (et mourir) tranquille, à l’instar des animaux sauvages, et, conséquemment, à priver les humains de toute relation et même de tout contact avec les animaux. Non seulement, il n’est pas du tout évident que tous les animaux sauvages vivent à l’écart des hommes — au contraire, il existe des centaines d’espèces qui, sans être domestiquées, fréquentent parfois de manière assidue les sociétés humains, ce que les auteurs de Zoopolis qualifie de « liminal animal » —, mais aussi : aucun naturaliste ne peut prendre au sérieux cette séparation spatiale entre un territoire réservée aux humains et un autre réservé aux non-humains — c’est oublier que nombre d’espèces migrent d’un endroit à un autre, parfois pour des raisons de survie : allons-nous clôturer le monde entre des espaces réputés sauvages, interdits aux humains et des zones urbaines peuplées uniquement d’humains, et interdits aux animaux ? (Et comment alors garantir aux animaux migrateurs le maintien de leurs voies habituelles de migration ?)
Enfin, et surtout, que vaudrait une vie vécue à l’écart des animaux ? La science-fiction a déjà exploré ce thème, notamment la littérature post-apocalyptique, et on n’oubliera pas le fameux et peut-être prophétique Soylent Green (Soleil Vert) de Richard Fleisher. Il ne fait aucun doute que le régime alimentaire de l’être humain puisse se passer de viande et de produits animaux : dans certains laboratoires (parfois soutenus d’ailleurs par les fers de lance du mouvement végétarien), on s’efforce d’ores et déjà de fabriquer de la viande à partir de cellules animales (voir Jocelyne Porcher, « Le stade ultime des productions animales : la viande in vitro », La Revue politique et parlementaire, n°1057, 2010) Voulons-nous que nos descendants n’aient plus d’autres occasions de rencontre avec les animaux qu’au travers de documentaires animaliers ou de documents d’archive ? Que deviendront les êtres humains privés des relations avec les animaux ? Adopteront-ils des robots pour leur tenir compagnie (et quand notre attachement aux robots deviendra trop flagrant, considérerons-nous comme un devoir de les faire disparaître à leur tour, pour cesser de les exploiter — je renvoie ici aux problématiques posées par la série télévisée Äkta människor) ?
Je reviens alors à mon premier paradoxe en notant que, d’une certaine manière, le paradoxe végétarien ne fait que l’amplifier : en effet, si nous sommes pris dans la contradiction entre notre désir de respecter les animaux et le fait que nous les mangeons, c’est bien parce que, non seulement cette mort, ou plutôt la mise à mort, mais tout autant la vie, de ces animaux nous est désormais invisible — et que l’industrie agro-alimentaire fait tout son possible pour cacher la mise à mort des animaux, et ce faisant, cache également les animaux vivants. Cette invisibilité des animaux, morts ou vifs, et la fin de plus de dix mille ans d’élevage, c’est exactement l’aboutissement de la logique des militants de la cause animale : les animaux, pour vivre heureux, disent-ils, devraient vivre à l’écart des hommes, ils doivent disparaître de notre vue (et demeurer inaccessible autant que possible à nos sens, à nos actions, et, sans doute à court terme, à nos pensées). Bref, la solution radicale consiste à oublier les animaux — et il n’est pas du tout étonnant que les industriels de l’agro-alimentaire qui s’efforcent de produire de la viande sans élever d’animal, trouvent finalement parmi certains militants de la cause animale des alliés. Je me demande toutefois si, en réalité, ce bien que nous pensons vouloir aux animaux n’est pas aussi et surtout un bien que nous voulons à nous-même : un psychanalyste parlerait de défense par un déni radical — supprimer la culpabilité en supprimant l’objet même qui nous fait nous sentir coupable. Cette solution repose également, et c’est un aspect central dans la critique portée par les auteurs de Zoopolis, sur une conception extrêmement pessimiste de l’homme (hobbesienne pourrait-on dire, et, à tout le moins, purement utilitariste) : il n’existerait aucune chance que les sociétés humaines modifient leur comportement envers les animaux, et ces comportements relèvent presque systématiquement de l’exploitation.
Existe-t-il alors des solutions qui permettrait d’échapper au paradoxe des défenseurs de la cause animale (et d’éviter la destruction des animaux domestiques) ? À mon sens, la réponse est positive, mais elle risque de ne pas satisfaire les plus radicaux des militants. La première voie est celle explorée par des personnalités comme Jocelyne Porcher, et de nombreux paysans désireux de revenir à une forme d’élevage plus respectueuse non seulement des bêtes mais également des hommes, et de leur travail en commun. Elle se fonde sur une distinction nette entre un élevage à taille « humaine » (et j’ai envie d’ajouter : à taille « animale ») et les usines de production de minerai de viande (pour reprendre les mots de Jocelyne Porcher), qui n’ont plus grand chose à voir avec l’élevage, mais sont totalement organisés autour de la recherche d’une maximisation du profit et gouvernés par la technologie la pus radicale. La viande et les produits animaux que nous consommons en occident sont issus à plus de 90% de cette seconde filière. Et les tendances qu’on peut observer au niveau mondial, largement nourries par les ambitions des multinationales de l’agroalimentaire, ne vont pas, bien au contraire, dans le sens d’une réduction de cette zootechnologie généralisée. Quand bien même, par un retournement de situation qui paraît improbable, du moins dans un futur proche, le cours des choses s’inversait et l’élevage traditionnel reprenait le dessus, séduisant les consommateurs (lesquels auraient donc fortement diminué leur consommation de viande) et forçant le marché à modifier ses sources d’approvisionnement, demeurerait le point crucial de la critique des militants végétariens envers toute forme d’élevage : la mise à mort des animaux — une mise à mort contrôlée et calculée, et centralisée dans des abattoirs de taille toujours plus imposante. Les réglementations visant à minimiser les souffrances des animaux durant le processus (fortement industrialisé) de mise à mort font ici bien pâle figure en comparaison de l’horreur qui se répète quotidiennement dans les centres d’abattage à la chaîne. Certains éleveurs, cités par Jocelyne Porcher et d’autres, font part de leur douleur à mener les bêtes à la mort : ils préféreraient parfois sinon les tuer eux-mêmes, en ritualisant la procédure, plutôt que de les envoyer dans ces camps de la mort. Quoiqu’il en soit, le déploiement sur le territoire de fermes relativement modestes (mais suffisantes pour assurer le revenu des paysans qui y travaillent) présente bien des atouts pour l’avenir (à commencer pour la biodiversité et la qualité des paysages, ce dont je parle à de nombreuses reprises sur ce blog).
La seconde solution est extrêmement ambitieuse, et ouvre un vaste chantier, déjà largement entamé, au moins au niveau intellectuel, dans le livre de Sue Donaldson et Will Kymlicka, Zoopolis, A Political Theory of Animal Rights. Il s’agit de repenser ce que les auteurs appellent l’Animal Rights Theory (ATR : la théorie des droits des animaux), en l’élargissant et la soumettant à de nouveaux paradigmes expressément politiques. J’ai longuement parlé de ce livre à plusieurs reprises sur ce blog, et je me contenterai d’en rappeler brièvement les grandes lignes. Son premier tour de force consiste à considérer les animaux comme des animaux politiques au sens propre — et donc à leur accorder un statut politique à l’instar des êtres humains. Le second tour de force est possible parce que l’ouvrage s’intéresse réellement aux animaux dont ils parle, en convoquant nos savoirs à leur sujet, et notamment le savoir des éthologues et des environnementalistes (ce qui n’est que rarement le cas chez les tenants de l’ATR, lesquels, contrairement à ce que déclare J. S. Foer dans l’interview citée ci-dessus, se contentent souvent d’un point de vue philosophique sur « l’animal en général »). Ils se montrent donc capable d’élaborer des hypothèses particulières, de poser des problèmes concrets, et d’aborder ces problèmes dans un registre pragmatique. C’est à mon sens une différence abyssale avec la plupart des auteurs de la littérature de la cause animale. Et, troisième coup de force, qui découle forcément des deux premiers : on sort tout à fait d’une considération essentialiste de la différence humains/non-humains, on ne se perd plus dans une interminable réflexion sur les soi-disant «natures» humaine ou animale, mais on prend pour objet d’emblée les relations entre les humains et les non-humains (ce que les latouriens identifient comme « natureculture »). Comment les humains et les animaux pourraient mieux vivre ensemble sur cette planète ? Voilà la question générale du livre, et sa réponse consiste en une recherche des statuts politiques les mieux adaptés aux animaux. Le pluriel est ici de mise : en effet, il faut commencer par distinguer trois grandes types de relations entre les animaux et les humains, et partant, trois situations extrêmement différentes, lesquels impliquent qu’on s’intéresse alors à trois statuts politiques différents (notons qu’à chaque fois les auteurs réfléchissent aux différents statuts politiques auxquels les humains peuvent prétendre, qui fournissent en quelque sorte des modèles plus ou moins transposables aux animaux considérés) :
1. Les animaux sauvages devrait être considérés comme souverains.
2. Les animaux « liminaux » (liminal animal) ou « commensaux » (qu vivent à proximité ou dans les zones habitées par les humains) devraient être considérés comme des résidents (denizen) plus ou moins temporaires.
3. Les animaux domestiques (c’est-à-dire les animaux de compagnie et les animaux d’élevage) devraient être considérés comme des citoyens à part entière.
À chaque situation se rattache un ensemble de droits et de devoirs, d’égalités et d’inégalités. La gamme des droits (et des devoirs) s’enrichit donc notablement dans cette perspective zoopolitique, notamment parce qu’elle énonce désormais des droits positifs, et ne se résume donc plus seulement, ce qui constitue l’une des critiques récurrentes à l’égard de l’ART classique, à des injonctions négatives (du genre : ne pas tuer, ne pas exploiter, etc.). Il n’est évidemment plus question de supprimer des animaux (les espèces domestiques) pour répondre à l’injonction de « non-exploitation » — devrait-on occire tous les esclaves pour en finir avec l’esclavage ? Au contraire, dans le modèle zoopolitique, les relations entre les humains et les non-humains sont assumées, encouragées, enrichies et ré-inventées. Les questions souvent purement abstraites qui occupent à longueur de pages les ouvrages des défenseurs de la théorie antispéciste, se multiplient en autant de problèmes concrets, localisés, qui requièrent une meilleure connaissance des animaux, et même, une nouvelle éthologie des relations humains-non humains, autant de nouveaux problèmes donc, à partir desquels on peut construire et affiner des outils législatifs par exemple. Dès lors, bien que fondée sur les mêmes bases éthiques que la théorie classique antispéciste, la théorie zoopolitique fait exploser la solution absurde selon laquelle, pour mieux aimer les animaux, il faudrait s’en séparer radicalement, ou bien en les parquant dans des réserves inaccessibles à l’homme, ou bien en les tuant, bref, en les faisant disparaître de nos mondes humains.
Cette nouvelle approche m’intéresse évidemment au plus haut point, et j’essaie sur ce blog d’en imaginer quelques applications, en partant de problématiques locales. Je considère toutefois qu’un vaste chantier demeure ouvert et hautement problématique concernant la question de l’élevage et celle de la chasse et de la pêche. Je reviendrais sur ces points à l’occasion.
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