Le sanglier déchaîne les passions

SOURCE : Le Midi Libre , premier septembre 2014 : « Hérault : un sanglier fou en plein village »

Discussions passionnantes en bas de l’article. Le sanglier déchaîne comme toujours les passions ! On entend là des arguments qui sont bien connus, et la plupart sont pertinents. Les chasseurs en prennent pour leur grade, et se défendent. Certains arguments et commentaires méritent examen :

1. Les sangliers, qui avaient quasiment disparus du territoire, ont été réintroduits il y a une trentaine d’années par les chasseurs — ce gibier prisé est devenu quasiment un animal d’élevage à l’époque. On les nourrissait dans des enclos, après quoi on tentait de les fixer sur un domaine de chasse en pratiquant l’agrainage. Ces pratiques sont désormais ou bien interdites ou bien fortement encadrées (l’agrainage peut également servir aux forestiers ou aux agriculteurs à fixer les animaux dans une zone à l’écart des zones de reboisement, on parle alors d’agrainage dissuasif)

2. Les sangliers sont devenus, dans certaines campagnes, ce que j’appelle, avec les auteurs de Zoopolis, des animaux « commensaux », c’est-à-dire qui vivent au sein des zones urbaines ou péri-urbaines (c’est le cas de très nombreux animaux). Sous le pression de l’urbanisation, l’extension des routes, des zones commerciales, la diminution des terres agricoles et des forêts aux alentours des villes, les sangliers vont chercher leur pitance là où il est facile de la trouver, c’est-à-dire dans nos poubelles. (En Alaska par exemple, les mêmes phénomènes attirent les ours bruns dans les rues d’Anchorage. Ce qui pose parfois quelques problèmes de « commensalité »)

3. La prolifération remarquable du sanglier dans nos campagnes aujourd’hui (on estime les effectifs à plus d’un million) ne s’explique pas tant par les initiatives malheureuses des chasseurs d’il y a trente ans, que par la diminution drastique du nombre de chasseurs en France (et certaines mauvaises langues ajouteront : par leur piètre performance dans le domaine de la chasse, qu’on mesure par le nombres de balles nécessaires à l’abattage d’un animal — comparé à d’autres pays européen, le score français est plutôt faiblard). N’oublions pas également l’accroissement des zones boisées en France (+10 % en 25 ans), qui constituent l’habitat privilégié des sangliers.

4. Le sanglier n’est pas un gentille bébête inoffensive — cent cinquante kilos de muscles et une paire de défense impressionnante qui vous arrive dessus à tout allure, j’ai testé, mieux vaut se trouver un arbre sur lequel grimper au plus vite. Ce n’est certes pas une raison pour les tuer, contrairement à ce que certains commentateurs de l’article du Midi Libre insinuent. Mais quand par malheur un sanglier, qui plus est blessé, déboule en ville à l’heure du marché, l’aventure peut tourner au drame.

5. On oublie souvent de rappeler que les chasseurs payent pour les dégâts que les sangliers commettent sur les cultures. Le coût que ces dégâts représentent pour les fédérations de chasse est passé de 20 à 30 millions d’euros par an depuis le début des années 2000. En conséquence, le coût de la carte de chasse a également augmenté de manière spectaculaire. Ces dégâts aux cultures sont tout à fait réels, et on ne compte plus les pages internet d’agriculteurs qui se plaignent des maigres résultats de la chasse sur leur département. La situation est parfois tendue entre chasseurs et agriculteurs, et les exploitants forestiers ne sont pas en reste (mais leur sujet de plaintes porte plutôt sur les dégâts commis par les cervidés).
On ajoutera à ces dégâts les milliers d’accidents de la route qui surviennent chaque année de la rencontre entre une automobile et un sanglier (17 000 en 2008, 20 000 en 2009).
Ces dégâts sont évidemment le résultat de la proximité croissante entre les humains et les animaux : la pression humaine sur les zones d’habitat naturelles du sanglier constitue indéniablement la cause majeure de ces problèmes — on observe ce phénomène dans bien des pays du monde.

Pour en revenir aux chasseurs, ils sont ici entre deux feux : les « anti-chasse » leur reprochent leur cruauté, le plaisir qu’ils prennent à tuer des animaux et les usagers de la campagne les pressent au contraire de tuer plus de « nuisibles ».

NB : un mot sur la réintroduction des grands prédateurs, argument qu’on entend régulièrement quand il est question de se passer de la chasse (ou de seconder les chasseurs) — on fait remarquer que dans certaines régions européennes, le régime alimentaire du loup comprend 76% d’ongulés sauvages (dont des sangliers). Toutefois, dans les régions d’élevage, le loup tend à se tourner vers des animaux « domestiques », qui sont évidemment plus faciles à attraper. L’éventualité que les loups, réintroduits en masse, modifient de manière notable les populations de sangliers demeure très discutée : de fait, le sanglier n’est pas une proie facile, surtout s’il est en meute, et le loup risque gros dans l’affaire — il s’en sortira sans doute mieux avec un chevreuil. Combien faudrait-il de loups pour, non pas remplacer les prélèvements opérés par l’homme, mais compenser la diminution des chasseurs ? Sans doute énormément, et je ne suis pas sûr que les humains apprécieraient de revivre à proximité de hordes de loups.