Sur le chemin de Galuze à Brageac

Sur le chemin de Galuze à Bargeac, un vieil homme et ses deux chiens veillaient sur les vaches au milieu de la voie. J’allais sur ce chemin avec mes chiens, profitant de la douceur de l’après-midi, ramassant des myrtilles et respirant l’odeur du serpolet. Nous nous sommes salués, l’homme et moi, et les chiens ont fait de même, se sont salués également, à la manière des chiens. Cet homme vit à Brageac, un petit village d’une dizaine de maisons entre le bois des Fraux et les premières pentes des estives. On a causé sur le chemin près d’une demi-heure. On a parlé du village, on ne voit plus grand monde par ici, la forêt est dans un état, il avait ramassé une gerbe de blé pour l’hiver, un bouquet de moisson comme on faisait autrefois (j’avais envie de dire : autrefois depuis les grecs, depuis la déesse Démeter, mais je ne l’ai pas dit), un vieil homme très doux, très calme, très mélancolique, il s’étonnait qu’il y ait des jeunes comme nous qui souhaitent vivre ici, j’ai dit, c’est à cause du paysage, et de la neige, il a dit : la neige, je ne l’aime pas du tout, j’en ai horreur, cette année, la neige commençait juste avant notre village, à Galuze, en redescendant, il n’y en avait déjà plus, je lui ai dit : oui, je sais, je viens souvent skier par ici, il a montré le pré, vous pouvez skier tant que vous voudrez sur nos près, ça les abîmera pas ! j’ai dit, il y a de sacrées congères sur ce chemin ! Il a dit, oui, en montrant l’endroit où les vaches broutaient, juste là, des congères de trois mètres, oui, j’ai dit, alors je passe par le pré, puis on a parlé des paysans, j’ai dit : on vit de moins en moins de vaches sur la Planèze, il m’a dit : il y avait encore quatre paysans à Lescure haut, le village d’à côté, il y a deux ans, hé bien l’année prochaine, il n’y en aura plus du tout, juste deux qui restent à Lescure bas, et encore, combien de temps, ils se rendent pas compte en ville, que c’est nous qui faisons le paysage tel qu’il est, bientôt, il n’y aura plus que des orties, j’ai dit : de la forêt, oui il a dit, mais je ne serais plus là pour le voir.

On a causé encore quelques minutes, du nouveau maire et de l’ancienne mairesse, de mes voisins, de ses voisins, on a convenu que c’était un village où il faisait bon vivre, et en parlant et en l’écoutant je me sentais triste et heureux, un vieil homme aux yeux très clairs, j’ai pensé, en reprenant le chemin du retour avec mes chiens : j’aurais bien aimé cet homme, l’avoir pour grand-père, j’ai pensé, si j’étais né ici, que serais-je devenu ?