Tique et Covid-19 : un point sur la pandémie à la fin de l’hiver 2021

Deux tiques hier, une installée derrière le genou gauche, l’autre à la cheville droite, et ce matin au réveil, une troisième collée derrière la nuque. Pas de piqûre a priori, mais bon. Le retour de la douceur favorise évidemment la prolifération de ces petites créatures vampires devenues des sujets philosophiques d’importance sous la plume de Jacob von Uexküll (Mondes animaux monde humain). On va éviter les crapahutages hors-sentiers pour le moment et s’en tenir aux terrains à peu près dégagés : quand la saison démarre de la sorte, c’est assez dissuasif quand même.
Comme je me suis réveillé tôt, trop tôt, j’ai fait un petit tour de l’actualité de la pandémie, histoire de deviner à quel moment la région où je vis sera confinée à son tour (et sous quelles modalités). Si je veux encore aller faire un tour ou deux en montagne, faut peut-être en profiter maintenant, parce que dans quelques jours ou quelques semaines, on risque d’être plus ou moins assignés à demeure. Prendre sa dose en prévision de donc.
Bon. Je fais la synthèse pour ceux qui n’ont plus la force de s’informer. Il suffit d’écouter Angela Merkel, dans son style clair, net et précis : “Nous avons essentiellement une nouvelle pandémie. La mutation de la Grande-Bretagne a pris le dessus… Elle est clairement plus mortelle, plus contagieuse et plus longtemps contagieuse.” Voilà. Les épidémiologues, dans leur grande majorité, l’avait annoncé dès le mois de janvier dernier. Le Président chez nous les a snobés. Mais nous y sommes.
Via twitter, je suis les témoignages des soignants dans les hôpitaux : en région Parisienne, ça ressemble à la crise de l’année dernière à la même époque, sauf que les patients sont nettement moins âgés. On évoque ici et là des moyennes d’âge de gens hospitalisés qui tournent autour de 50 ans. Un grand nombre d’interventions chirurgicales ou d’examens est reporté sine die. L’idée selon laquelle l’épidémie serait mieux “gérable” avec la vaccination des personnes très âgées a fait long feu. Comme le disait le virologue allemand Christian Drosten (en janvier dernier) : “Une fois que les personnes âgées et peut-être une partie des groupes à risque auront été vaccinées, il y aura une immense pression économique, sociale, politique et peut-être aussi juridique pour mettre fin aux mesures corona. Et puis, un grand nombre de personnes seront infectées en peu de temps, plus que nous ne pouvons même l’imaginer pour le moment. Nous n’aurons pas 20 000 ou 30 000 nouveaux cas par jour, mais jusqu’à 100 000 dans le pire des cas. Il s’agira, bien sûr, principalement de personnes plus jeunes qui sont moins susceptibles que les personnes âgées d’avoir des symptômes graves, mais lorsqu’un grand nombre de personnes plus jeunes seront infectées, les unités de soins intensifs se rempliront de toute façon et beaucoup de gens mourront. Juste que ce seront les plus jeunes.” On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas hein (enfin si, on le dira quand même)
Évidemment, la crise en Europe est malgré tout à peu près sous contrôle. Comme souvent, un petit tour au Brésil, où l’on vient de battre le triste record du nombre de décès à l’hôpital due au Covid-19, 3000 morts hier, permet de relativiser. La vaccination ne va pas assez vite chez nous ? Hé bien demandez-vous si elle va assez vite dans la plupart des pays pauvres.
À ce sujet, la remarque délicieusement cynique de Boris Johnson à des collègues de son parti, remarque qui a filé en douce dans les réseaux sociaux, permet de relativiser aussi la “réussite” des campagnes de vaccination éclair en Grande-Bretagne (ou en Israël), dont on fait grand cas. Je cite ce brave Boris : “The reason we have the vaccine success is because of capitalism, because of greed my friends.” (“La raison pour laquelle notre campagne de vaccination est un succès est due au capitalisme et à la cupidité mes amis.”)
Petit rappel au cas où : “l’esprit nationaliste” en matière de vaccination (et plus globalement concernant les mesures sanitaires en temps de pandémie) ne mène pas bien loin. À supposer que votre beau pays ait réussi à vacciner la totalité de sa population et réduit le taux de circulation du virus à zéro, il lui faudra fermer ses frontières à double tour tant que ses voisins n’en seront pas au même point, tant que le virus continue de circuler ailleurs dans le monde avec le risque qu’apparaissent ici et là des mutations susceptibles de passer les barrières des vaccins. C’est, aux dires de certains experts, ce qui est peut-être en train d’arriver au Brésil, où le variant local se joue déjà des immunités acquises lors de la première vague (à Manaus notamment).
Un ami me demandait tantôt combien de temps l’épidémie allait durer. Il y a quelques mois, avant l’arrivée des variants hivernaux, on pouvait tabler sur la fin de ce printemps. Désormais, force est de reconnaître qu’on n’en sait trop rien. Comme le dit Merkel, c’est une “nouvelle” épidémie (sauf qu’on a des vaccins, ce qui n’est pas rien).
L’épidémiologue américain Tom Frieden disait cet automne (avant de retrouver un peu d’optimisme avec la mise en place de l’administration Biden) que le virus avait gagné la partie (jusqu’à présent). J’avais déjà écrit sur le sujet : les économies néolibérales se révèlent d’une extraordinaire fragilité à l’épreuve d’une créature microscopique. Ce qui ne doit pas nous étonner, mais quand même. Ici et là, la plupart des gouvernements sont contraints d’en revenir à des formes d’interventionnisme typiques des politiques disons “social-démocrates”, de réinvestir dans le soutien direct aux populations appauvries, et dans les infrastructures et les institutions sanitaires. Soit. Mais quid du lendemain ? La pandémie ne mettra pas le capitalisme à genoux, mais a déjà freiné la soi-disant irrésistible entreprise de libéralisation des économies (et on voit ici et là un renforcement net des institutions étatiques). Mais qu’arrivera-t-il si la pandémie dure encore des années, ce qui n’est pas impossible ? Tout est possible me semble-t-il.
Bon. En attendant, vaudrait mieux éviter de se faire infecter par une morsure de tique. C’est pas bien le moment d’en rajouter.