Se promener dans la neige, travailler, mendier, &c

Je me disais tantôt, en glissant lentement sur la neige au Puy de Mercou, avec les chiens – Capou suivait la trace de mes skis, car il est trop petit pour affronter les amas de plus de vingt centimètres, tandis qu’Iris, plus alerte et plus haute sur pattes, folâtrait gaiement de-ci de-là – scène assurément bucolique et champêtre, bien qu’on soit au mois de mars, et qu’il neigeait gentiment mais fermement sur les hauts-plateaux – et donc ainsi parcourant les sentiers sous les sapins blancs, je me disais que je pourrais tout aussi bien me contenter d’une vie de ce genre, celle que je vis en ce moment : se lever tard, lire un peu, écouter de la musique, déjeuner puis faire la sieste, puis aller skier avec les chiens, &c. (ne sais pas vraiment ce que je fais ensuite : rêvasser probablement, songer aux péripéties de mon prochain bouquin, laisser mûrir les choses, si tant est qu’elle donne un de ces jours des fruits).

Je lis cet article dans le journal Sud-Ouest, mais j’aurais pu le lire dans n’importe quel journal : le cas d’un certain Gilles L., devenu par la grâce des temps un héros d’aujourd’hui, Gilles, qui, privé d’emploi depuis bientôt 3 ans, se poste tous les matins à l’heure où blanchit la campagne lorraine au beau milieu d’une autoroute empruntée par les employeurs et les travailleurs, muni d’un panneau au message simple : “Je veux travailler”, suivi de son numéro de téléphone. Le journal précise que Gilles L. n’a pas véritablement de difficultés financières, il ne cherche pas du travail pour obtenir une rémunération, non, son désir est pur, il veut juste travailler. Les lecteurs sont touchés, cette histoire d’aujourd’hui ravit les esprits, et redonne du baume au cœur, et peut-être du cœur à l’ouvrage, les employeurs seront heureux à leur tour, une forme de fierté aussi, on ne sait pas bien pourquoi, mais on se sent mieux, les lecteurs en tous cas se sentent mieux et l’écrivent en commentaires, courage, respect, ténacité, et surtout, non, il ne doit pas avoir honte, c’est bien les autres, ceux qu’on connaît, qui fuient au contraire quand on leur propose un emploi, c’est ceux-là qui devraient avoir honte, bien entendu, &c &c &c.

Ça me rappelle quand j’ai fait la manche, c’était à Cahors, il y a bien longtemps car j’avais à peine vingt ans, et même plutôt dix-huit, en face de la cathédrale, il faisait une chaleur, et puis une autre fois, sur le port de Santander, devant l’embarcadère pour Plymouth, même que plus tard j’en ai fait une chanson, oui, parce que bon, le plus important dans tout cela, c’est le récit qu’on peut tirer de ces choses-là, ces récits, lesquels, qu’on les raconte ou pas, finissent s’entremêlant par tisser la trame d’une culture n’est-ce pas. Le monde dans lequel on vit, les récits dans lesquels on baigne, le sordide et l’héroïque – quelle misère.

À part ça, on est vendredi, déjà en mars, et il neige à tout rompre, maintenant que les touristes sont partis, ou en partance, l’hiver commence, il commence juste pour nous, habitants les montagnes à l’année, et quand il neige ainsi, tout est très relatif, soudainement toute importance s’effondre en futilité,  la montagne immensément blanche vous rappelle à la saine humilité – rien, presque rien : oublions.