Quelques pensées en marchant dans les bois

Choses vues en se promenant entre le puy de Baine et le puy Gérand : des arbres, beaucoup d’arbres, des centaines de milliers d’arbres sans doute et peut-être beaucoup plus – mais je me suis arrêté de compter à 1225 -, des nuages, des gros des petits, en veux-tu en voilà, une chapelle et un calvaire juché au sommet d’un piton rocheux avec vue, avec vue sur une partie du monde, une partie modeste tout bien considéré, mais qui suffit à mon avis pour faire un monde, et puis surtout un étang, bordé de roseaux, un bel étang manifestement oublié de son propriétaire, lequel a laissé là en plan nombre de ses affaires, un cabanon, des chaussures, une grande table en bois et des canettes de bière (vides), mais aussi, miracle, un bateau, un vrai petit bateau échoué là, dévoré par les ronces, un magnifique petit bateau qui ne sert à rien, qui ne va plus nulle part, un pauvre petit bateau abandonné aux vitrages sales et à la coque rouillée, qui n’avait peut-être d’ailleurs, à bien y penser, comme dans la comptine, jamais navigué.

Et puis, en marchant dans les bois, on s’est posé de graves questions avec Iris et quelques cailloux philosophes : car c’est une chose de résister à l’anthropocentrisme (et ma foi, il se trouve des tas de gens désormais pour accorder à une foultitude d’êtres non-humains sinon quelque intériorité, au moins des droits, et c’est une bonne chose, cela va sans dire, même s’il est un peu tard pour s’en convaincre), mais c’en est une autre que de lutter contre l’ethnocentrisme, c’est-à-dire faire l’effort de se fourrer dans le crâne l’idée que la manière occidentale de voir le monde (le naturalisme pour parler comme Descola) n’est pas la manière “humaine” de voir le monde, qu’il en est d’autres (qui certes, comptent pour peu “démographiquement” et ainsi de suite). Déjà qu’il paraît difficile pour nombre de mes contemporains d’imaginer qu’on (leur plus proche voisin par exemple) puisse de débrouiller dans ce monde-là, le monde occidental, autrement qu’eux se débrouillent, alors imaginez si on les invite à penser comme des Evenks, des Huoarani ou des néoplatoniciens de l’antiquité tardive !

C’était là un débat prometteur, mais les jours sont courts encore à la mi-janvier, bien qu’ils rallongent un peu, et il nous fallait rentrer avant la nuit, donc nous avons gardé pour plus tard de très ambitieux développement et pris le sentier prometteur qui redescendait vers le village.