Quelque part dans les bois au sud de St-Eloy-la-Glacière.

Ce qu’il y a de chouette avec ces cartes inutilisables en Livradois, c’est qu’on finit bien vite par les laisser au fond du sac, vu que de toutes façons, les chemins qu’elle promet, la carte, n’existent plus, en général. Une fois sur deux, la broussaille a pris le dessus, ou bien un forestier est passé par là, et je ne parle pas des petits sentiers qui s’embranchant de tout côté, non répertoriés (échappant donc à la bureaucratie territoriale), n’aboutissent soi-disant nulle part, mais, à bien y penser, toujours quelque part, mais dieu sait où ?, qui souvent ne sont pas des sentiers fabriqués par le pas des hommes, mais des pistes animales.

 

 

Bref, je l’ai déjà dit, mais je ne m’en lasse pas : le Livradois, du moins sa partie forestière la plus profonde, et la moins fréquentée (je n’y croise jamais personne, exceptées des personnes animales), démontre qu’entre la carte et le territoire, le symbolique et le réel, il y a des mondes. Et c’est très bien.

Et je m’en réjouis notamment comme aujourd’hui, quand, après avoir abandonné, ou avoir été abandonné, par les chemins larges et moins larges, après avoir suivi sans trop y croire quelques sentes juste parce qu’elles étaient jolies et me faisaient envie, j’ai soudain débarqué dans une superbe clairière marécageuse, une vraie tourbière en formation, dont le sous-sol était bien gelé et craquait sous les chaussures, un pur bonheur, un plaisir pas possible, si bien qu’on y a passé près d’une heure, Iris de la Loupette et moi, juste à louvoyer à droite et à gauche entre les bouleaux nains, suivant le petit ruisseau roucoulant sa chanson d’hiver, attentifs aux jeux de lumière entre les sapins, jouant à cache-cache parmi les mottes de terre, bref, un moment de grâce vraiment.

Après quoi, nous avons remonté un ou deux prés, trouvé un village, demandé où nous étions. Ha, d’accord, merci Monsieur, alors, le chemin pour Saint-Éloy, c’est celui là (je montre la carte) ? Ha non, ce chemin, il est impraticable, autant dire qu’il n’existe plus. Ha oui, c’est vrai, ici les chemins n’existent plus. Oui. Mais il y en a d’autres, des nouveaux. Vie et mort des chemins. C’est vraiment remarquable cette histoire, ça me rappelle des tas de choses que j’ai lues concernant les Evenks en Sibérie, qui n’aiment rien tant que de créer de nouveaux sentiers, opération qui consiste à les emprunter en cassant délicatement les petites branches qui les bordent. Et mon petit marécage, là, il avait une bonne tête de Taïga non ?