Protection des animaux et pratiques traditionnelles autochtones

Les peuples qui pratiquent une chasse de subsistance et dont la survie dépend de cette activité sont probablement voués à disparaître à court ou moyen terme — leur culture, en tous cas, confrontée à la pression du marché et à la “culture mondiale”, n’y résiste plus. Ce savoir multiséculaire se traduisait par une gestion qu’on dirait aujourd’hui “écologique” ou “durable” des ressources naturelles, mais également par des connaissances fines relatives au stockage et à la conservation de la nourriture, bref, une organisation rationnelle, incluant le social et l’environnement, les humains et les non-humains.

Tuer des animaux n’a pas bonne presse dans la plupart des capitales occidentales — là où se détermine la moralité du monde à venir. Des espèces sont menacées, on octroie des quotas de chasse draconiens, quand on interdit pas tout simplement le commerce ou la chasse de ces animaux. Qu’importe si les populations du grand nord ne sont en rien responsables de la raréfaction annoncée des ours polaires : ils devront restreindre leur activité pour sauvegarder l’espèce — pendant ce temps, la terre se réchauffe, et, avec ou sans quotas, les ours polaires pourraient ne pas survivre. On s’est ému du massacre des bébés phoques sur la banquise, perpétré par ces mêmes peuples du grand nord : la fondation Brigitte bardot, à l’origine de la campagne qui a abouti à l’interdiction d’importer et de commercialiser les produits issus des phoques et otaries dans l’Union Européenne, se défend sur son site d’avoir porté atteinte aux peuples qui les chassent de manière traditionnelle :

Il nous est parfois reproché de lutter contre la chasse aux phoques alors que c’est une pratique ancestrale permettant la survie des populations inuits. Or, nous avons toujours veillé à dissocier la chasse commerciale à la chasse traditionnelle pratiquée par les populations Inuits qui ne porte pas sur les bébés phoques et ne touche, effectivement, qu’un nombre limité d’adultes. Les intérêts de ces populations ne sont donc pas affectés par nos actions.

Néanmoins, ces peuples, comme l’explique le grand connaisseur des habitants du grand nord groenlandais Nicolas Dubreuil, sont réellement en train de perdre leur culture traditionnelle, laquelle reposait quasiment exclusivement sur la chasse. Le meilleur critère d’une culture qui se meurt étant, là comme ailleurs, le désintérêt des jeunes pour les activités pratiquées par leurs parents, et la fin de l’enseignement des rites et techniques d’autrefois. Non seulement, contrairement à ce qu’affirme ce bref paragraphe sur le site de la Fondation BB, les intérêts de ces populations sont affectés, mais tout laisse à penser que la perte culturelle est irrémédiable et la situation économique désastreuse. Dans le même temps, les sociétés occidentales continuent de massacrer « plus de 1900 animaux par seconde (compteur) soit 60 milliards d’animaux tués chaque année, représentant 280 milliards de kilos (vs. 44 milliards en 1950) selon la FAO qui prévoit 110 milliards d’animaux tués chaque année en 2050. » (voir le “compteur” terrifiant sur le site de Planetoscope. Il y a sur ces questions une hypocrisie dramatique.

Un de mes arguments préférés pour mettre à l’épreuve le dogme de base de l’Animal Rights Theory (ART), ou de mes amis végétariens (“tu ne tueras ni n’exploiteras aucun animal”), consiste à faire appel aux habitants du grand nord : dans leur cas, comment pourraient-ils s’abstenir de manger de la viande et donc de tuer des animaux (sans compter que ces animaux leur sont utiles de bine des manières, pas seulement pour l’alimentation) ? Je n’ai aucun doute sur la possibilité d’adopter un régime alimentaire d’où seraient exclus les produits animaux dans la plupart des régions du monde, mais dans le Grand Nord, il est exclu, jusqu’à preuve du contraire (le réchauffement climatique changera peut-être la donne un de ces jours !) de faire pousser des légumes — même si, dans une nouvelle de Jørn Riel, le génial conteur arctique, certains personnages de la côte est du Groenland parviennent, certains étés, à faire pousser quelques patates. Suffit-il de considérer ces habitants d’environnements radicaux comme des exceptions ? Et pourquoi dans ce cas ne pas exclure également de l’injonction végétarienne toux ceux qui s’efforcent de vivre encore d’une agriculture vivrière, possédant un cochon, dix poules et trois vaches, et quelques arpents de terres cultivables ? Sont-ils à mettre dans le même sac que les usines à viande (l’élevage hors-sol) qui se développent un peu partout dans le monde, et désormais en Europe et en France ?

Je n’ai pour ma part pas de réponse à ces questions. Mais je pense que, dans la défense de l’environnement, on devrait toujours penser à la fois globalement et localement : on ne devrait jamais perdre de vue les situations particulières. La diversité des cultures et des pratiques, dans le monde, et même chez nous, sur le territoire français, mérite à tout le moins examen.

Le problème de ces peuples “autochtones”, c’est qu’ils sont peu nombreux, et que, malgré tout, ils occupent ou occupaient une petite partie d’une immensité. Autant dire, qu’économiquement, ils ne comptent pas pour grand chose, et, le plus souvent, ils coûtent chers aux états dont ils dépendent (quand ces états prend soin de leur survie, ce qui n’est pas toujours le cas). En réduisant ces populations à la misère, on les condamne tôt ou tard à l’exil. Ce dépeuplement arrange certains — c’est vrai au Groenland, mais c’est vrai aussi chez nous. « Ainsi, d’immenses territoires se vident et deviennent », selon Nicolas Dubreuil, « disponibles pour la prospection minière et pétrolière ». Déjà, des concessions d’exploration ont été accordées à des compagnies internationales sur toute la côte ouest du Groenland. (extrait d’un article du journal La Croix)

Je voudrais pour clore (provisoirement) cette suite de remarques, citer quelques pages du livre de Nicolas Dubreuil, Aventuriers des glaces, publié aux Éditons de la Martinière en 2012 :

 

« Kullorsuaq est réputé dans tout le Groenland : le village des harponneurs de baleines, des tueurs d’ours (…) mais s’ils étaient tout en haut de l’échelle sociale dans la société traditionnelle il y a un siècle, les chasseurs ont du mal à conserver leur place, leur rôle et leur statut dans le monde contemporain. Depuis trente ans, sous la pression des écologistes, des sociétés de protection des animaux et des opinions publiques occidentales, des quotas toujours plus restrictifs ont été appliqués à leur gibier. Leurs sources de revenus se sont taries les unes après les autres. Il n’y a pas si longtemps, ils fournissaient le reste du Groenland en matak, ces morceaux de peau et de graisse de baleine, friandise traditionnelle qu’ils vendaient un bon prix. Mais parce qu’ils n’ont plus le droit d’en tuer assez, le seul acheteur de la région a renoncé à ce négoce. Et eux sont incapables d’en organiser l’expédition et la vente.

De même, les peaux de phoque : là, pas de quotas, ces bêtes abondent. Pour nourrir les vingt-cinq chiens de son attelage, un chasseur tue au fusil ou capture au filet environ cinq cent phoques par an. Avant les campagnes pour l’arrêt de la chasse au bébé phoque, qui ont été élargies à l’ensemble de l’espèce alors qu’elle n’est en rien menacée, la demande était bien supérieure. Un peau était achetée aux chasseurs environ 800 couronnes danoises (110 euros). Maintenant, le marché s’est tellement effondré que leur prix est tombé à 250 couronnes (34 euros). Par moments, on ne les achète même plus du tout. Brigitte Bardot a exigé un moratoire sur la chasse aux phoque, parce que les bébés phoques en photo sont si mignons et leur chasse à coups de bâtons atroce. Mais elle a contribué, sans le savoir ou sans en voir cure, à l’appauvrissement de milliers d’inuits, au Groenland et ailleurs. Elle est honnie sur toute l’île.

L’ours polaire ne peut être commercialisé sous quelque forme que ce soit. Il est mangé sur place, donné ou échangé. Sa peau sert à faire des vêtements. Les chasseurs offrent les griffes en cadeau ou les utilisent pour faire du troc. C’est encore plus strict pour les dents de narval, splendides trophées en ivoire torsadé : interdiction totale.» (Nicolas Dubreuil, Aventurier des glaces, p. 165-6)

 

SOURCES : Une interview de Nicolas Dubreuil sur le site de FranceTV infos.