Pourquoi fatiguer l’écho du vain bruit de ma voix ?

Là maintenant, je suis fatigué d’être ce que je suis devenu. Une sorte de Cassandre qui tiendrait son savoir non pas des Dieux, mais des articles des scientifiques du GIEC. On a les mythes qu’on peut – les Grecs connaissaient le dénouement des tragédies (raison pour laquelle c’était là des tragédies et non pas des drames) parce qu’ils étaient nourris aux mythes (ils savaient déjà la fin, et ça se terminait mal), les Cassandre d’aujourd’hui, au rang desquels malheureusement je me compte, n’ont aucun doute sur le cours funeste du destin, mais ils puisent leur savoir dans les esquisses du futur – des tableaux, des diagrammes, des trous dans le permafrost, des incendies dans la taïga, et des livres de science-fiction.

La condamnation de Cassandre, c’est la solitude la plus absolue – on ne la croirait pas, décrète Apollon pour se venger d’elle qui l’avait éconduit, elle passerait pour folle.

Vous avez peut-être déjà entendu parler de ce poème étrange en partie fondé sur l’Agamemnon d’Eschyle du poète et grammairien Lycophron, lequel avait la charge de classer les comédies à la bibliothèque d’Alexandrie, par ailleurs auteur de tragédies fort appréciés de son temps, étudiées dans les écoles. Il vécut en Égypte donc, pas bien longtemps d’ailleurs (né en 320 av. JC, il mourut 40 années plus tard.).

” Mais pourquoi si longtemps entretenir de nos malheurs les pierres insensibles, les flots qui sont sourds, les bois que rien n’émeut ? Pourquoi fatiguer l’écho du vain bruit de ma voix ? Lepsiée ne m’a-t-il pas privée de toute autorité, n’a-t-il pas taxé d’imposture mes paroles et ma science de divination, véridique, infaillible ? Et cela, parce qu’il a été repoussé du lit qu’il voulait envahir. Il les accomplira pourtant, mes prophéties ; et plus d’un Troyen, instruit à ses dépens, lorsqu’il n’y aura plus de moyen de sauver la patrie, rendra justice à l’hirondelle que le dieu inspirait.

Voila ce qu’elle disait, lorsque, d’un pas précipité, elle est rentrée dans l’intérieur de sa prison ; et de là s’échappait encore un dernier chant de Sirène que, de son cœur gémissant, comme une ménade de Claros, comme l’interprète de la Sibylle, fille de Néso, comme un autre Sphinx elle exhalait en paroles confuses, embrouillées, inintelligibles. Et moi, je suis venu, ô mon roi, te répéter les paroles de la jeune prophétesse. Car tu m’as établi le gardien de la tour de pierre, et tu m’as ordonné de le dire et de te rapporter, en messager fidèle, tout ce que j’entendrais. Puisse le dieu qui protège ton trône changer en mieux toutes ces prédictions, et sauver l’antique héritage des Bébryces !”

(traduction du milieu du XIXème de Félix Désiré Dehèque)